Chapitre 22 - Jennifer

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Je passai le reste de la journée le cœur battant et les nerfs à vif. J'étais sur le qui-vive.
Finalement, alors que je me trouvais dans ma chambre, incapable de tenir en place et songeant à mille et une manières de m'échapper de cette situation, des coups furent frappés à ma porte.
Sans attendre de réponse, Anton entra dans la pièce, suivi de près par l'homme au complet gris.
Vu de près, celui-ci semblait bien plus jeune que je ne l'avais pensé. Il n'avait même pas trente ans. Qui pouvait-il bien être ?
Je chassai aussitôt ces pensées. Cela n'avait aucune importance. Seule Jennifer comptait.
- Mademoiselle Grey, pouvez-vous me suivre ?
Je me précipitai derrière lui alors qu'il disparaissait dans le couloir. Pendant que nous nous éloignions, je sentais le regard d'Anton peser sur nous.

L'homme au complet gris me conduisit dans les entrailles de Green Point. Nous avions emprunté un nombre incalculable de couloirs, traversé autant de pièces, pour la plupart plongée dans l'obscurité, et pour finir, nous nous étions enfoncé dans un labyrinthe souterrain sombre et humide.
Ce qui était sûr, c'est que jamais je ne retrouverais mon chemin seule.
À l'intérieur de moi, je bouillonnais. L'Ordre cachait tant de secrets. Il avait été conçu pour protéger le monde et pour assurer une entente entre les créatures de la nuit et les humains. Au lieu de cela, il s'arroge sans cesse plus de pouvoir et de prérogatives. L'Ordre était corrompu et avide, tout le monde le savait, mais personne ne faisait rien pour empêcher cela.

Je gardais les yeux fixés sur le dos de mon guide. Je le haïssais. Pour tout ce qu'il représentait. Il faisait partie de ce tout que formait l'Ordre et je rêvais de rébellion. Un court instant, je m'imaginai lui bondissant dessus, agrippant d'une main sûre sa tête tandis que j'aurais assuré ses épaules. Je pourrais lui rompre la nuque, cela ne prendrait que quelques secondes.
Je clignai des yeux. Ce n'était pas moi qui pensait ainsi. Cela ne me ressemblait pas. C'était comme si quelqu'un ou quelque chose avait pensé à ma place.
Je serrai et desserrai mes poings afin de me réapproprier mon corps.
Peu importait que je déteste cet homme, j'avais besoin de lui pour voir Jennifer. Et aussi pour sortir de ce dédale.

Puis, au milieu d'un énième couloir, devant une énième porte semblables à tant d'autres que nous avions vues jusqu'ici, l'homme s'arrêta.
- C'est ici, dit-il.
Et sans attendre de réponse, il entra.

L'odeur âcre propre aux hôpitaux m'emplit les narines, la pièce ressemblait d'ailleurs à s'y méprendre à un couloir d'hôpital. L'homme poursuivit son chemin jusqu'à une vaste baie vitrée.
Mon cœur se serra. A quelques mètres de moi, séparée par une paroi de verre, Jennifer reposait, paisible, dans un lit de draps blancs. Sa poitrine se soulevait de façon régulière et à part un moniteur, aucune machine n'était reliée à son corps.
Elle était en vie !
- Comment...
Je n'achevai pas ma phrase.
L'homme se tourna vers moi :
- L'Ordre a retrouvé votre soeur à demi enfermée dans un cocon tissé par le Garadon. Vous l'avez interrompu, il n'a pas pu achever son travail. Pour le moment, elle est plongée dans le coma, mais nous avons bon espoir qu'elle se réveillera et ne souffrira d'aucune séquelle.
Subitement, une vague de rage étouffa le soulagement que je ressentais.
Sans réfléchir, j'attrapai l'homme par le col et le plaquai contre la vitre.
- Pourquoi nous l'avoir caché ? Vous nous avez manipulés !
Lentement, sans nullement paraître impressionné, il posa sa main sur la mienne et serra. Il avait une poigne de fer, je sentais mes phalanges prêtes à céder sous sa pression.
À nouveau, sa jeunesse me troubla. Il devait avoir surfé sur combien d'arrangements pour pouvoir grimper aussi vite les échelons de l'Ordre.
Nos visages étaient proches l'un de l'autre, la colère déferlait en moi tandis que je sentais son souffle sur mes joues.
Il jeta un coup d'œil rapide par-dessus mon épaule. Je voulus profiter de cette seconde d'inattention pour le repousser et le déséquilibrer, mais il fut plus rapide.
Il cessa de broyer ma main droite et, à nouveau libre de ses mouvements, il se servit de ma poussée pour m'attirer plus encore contre lui, ses lèvres frôlaient mon oreille.
- Nous ne sommes pas ennemis, chuchota-t-il.
Puis d'un geste sûr il me rejeta en arrière.
- Mademoiselle Grey, dit-il, maîtrisez-vous sinon nous serons obligés de partir.
Sa voix avait claqué dans l'air, impérieuse. Rien avoir avec les mots qu'ils venait de murmurer à mon oreille.
Lentement je relâchai ma prise et m'écartai de lui.
Ses yeux restaient accrochés aux miens.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis un membre de la garde de l'Ordre, Marcus Einthoven. L'Ordre m'a désigné pour être votre formateur.
Je plissai les yeux, le jaugeant du regard.
Le médaillon à mon cou était resté neutre. Il avait dit la vérité.
- Mon formateur ? Mais quel âge avez-vous ?
- J'ai vingt-deux ans.
Vrai.
- Et l'Ordre a jugé utile de m'attribuer un jeunot comme coach ? C'est leur façon de piper dès le départ les dés de cette compétition ?
Ses joues rosirent légèrement. J'avais donc touché un point sensible.
- Je pense que vous devriez profiter du temps qui vous est alloué pour vous recueillir auprès de votre sœur au lieu de vous en prendre à moi.
Cette fois, c'est lui qui avait touché juste. Je refusai pourtant de lui donner raison.
- Parce que vous trouvez qu'être ici derrière cette fenêtre, c'est être proche de ma sœur ?
- Vous n'avez pas l'air d'être heureuse de la voir en vie.
Ses paroles me firent l'effet d'une gifle.
Non pas parce qu'elles possédaient une once de vérité – que du contraire – mais parce qu'au lieu de me réjouir de cette chance, je l'avais déjà prise pour acquis et j'en voulais plus.
Il poursuivit :
- Vous n'aurez sans doute plus l'occasion de revenir ici avant la fin de la compétition. Enfin, si...
Sa phrase mourut, mais je l'achevai pour lui :
- Si j'y survis. C'est rassurant de voir que mon propre formateur croit en moi et mes capacités.
Et à ce moment-là, je sus : cette compétition, j'allais la gagner. J'ignorais encore comment, je savais que je ne voulais pas servir d'homme de main pour l'Ordre, cependant j'allais en sortir victorieuse.
Je me tournai vers Jennifer, qui reposait, endormie, fragile, ses cheveux épars étalés autour d'elle.
J'allais gagner. Pour elle, et pour ceux que j'aimais.
Ensuite, je trouverai un moyen de détruire l'Ordre.
Plus jamais je ne serai leur jouet. Plus jamais ils ne pourront utiliser les autres afin de servir leurs dessins égoïstes.
Je m'en faisais la promesse.

Aleisha Grey - Démons intérieurs - Tome 1 - Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant