TRANSES 2: Conjuration

Chapitre 5.1

M A L E K

          — Bonjour, Malek.

Les craquements des gravats écrasés par mes pas recouvraient sa voix lointaine.

— J'ai pas beaucoup d'temps devant moi, crachai-je, donc j'espère qu't'as préparé une version condensée d'tes excuses et d'tes explications d'merde.

— Comme tu le voudras.

Prairie se sépara de la fontaine et joignit ses paumes au niveau de ses hanches. Le vent peinait à faire virevolter sa robe épaisse. La femme avait une allure de princesse des ténèbres avec cet accoutrement — des épaulières couleur lilas dominaient un tissu bleu marine qui recouvrait sa peau pâle. Plusieurs couches de crêpe qui frôlaient la terre encerclaient ses jambes. On avait brodé des fleurs sur l'une d'elles.

Son visage n'avait toutefois pas changé, cadré de ses cheveux blond cendré, décoré de lunettes rectangulaires qui couvraient ses yeux noisette.

— Nous sommes d'accord sur le fait que tu es là avant tout pour parler de Sonja, non ? Je pourrais expliquer mon histoire avec Aversion lorsque tu reviendras avec Eneko.

Entendre ce prénom de sa bouche, alors que la dernière fois que l'on s'était vus, elle le menaçait avec une épée sous le menton... ça me dégoûtait. Je replaçai mes poings dans mes poches et avançai nonchalamment sans quitter son regard.

— Pourquoi j'devrais t'croire, déjà ?

— Est-ce que tu fais confiance en Sonja ?

Si je lui faisais confiance ?

Elle s'était sacrifiée pour moi. Répondre par la négative ferait de moi un gars nocif et ingrat, cependant, elle n'avait pas tout dit, dans sa lettre. Sa famille entière cachait des secrets que je peinais à enregistrer, alors...

Putain.

Je lâchai un rire nerveux. La blonde ne broncha pas, son visage respirait l'impassibilité. Ça m'inquiétait plus qu'autre chose.

— J'sais pas en qui j'ai confiance, avouai-je.

— Je comprends tout à fait... Tu dois être encore chamboulé par les récents événements qui ont...

— T'es plus ma thérapeute, l'interrompis-je, et j'ai plus aucun respect pour toi, alors évite de faire comme si tu comprenais c'qui s'passe dans ma vie.

Ses yeux s'assombrirent, ternis par cet environnement monochrome... mais pas littéralement comme à Aversion. Non, cette fois, on aurait dit une simple peine, une tristesse. Regrettait-elle ses actes, ou juste son autorité ? Que je sache à quel niveau de fils de puterie la placer...

— Je pense que c'est mieux ainsi, se ressaisit-elle. Par ailleurs, j'aimerais que tu m'appelles Isabelle, dorénavant. Prairie... Prairie ne représente pas la personne que je suis. Celle que j'aurais voulu être, oui, mais c'est tout.

— La personne que t'es ? C'est qui, la personne que t'es au juste, hein ? On va inverser les rôles quelques secondes, pour que j'comprenne, soufflai-je d'une voix grave en mimant un rembobinage avec les doigts. Donne-moi une seule raison de t'faire confiance. Prairie, Isabelle, j'm'en tape. T'es qui, toi ? Dis-moi t'es qui !

Ses lèvres s'entrouvrirent sans laisser un son s'échapper. Elle replaça quelques mèches soufflées par des bourrasques. Je plissai les yeux et portai une paume à la tempe pour éviter de me prendre la poussière dans la gueule. Mannah avait perdu tout son charme, depuis que j'étais venu avec Eneko. Ma relation avec lui avait changé, mais revenir ici me rappelait le chaos qui avait régné dans mon cœur à ce moment-là, que l'état piteux de ce village représentait bien.