M A L E K
Je comprenais les adeptes des voyages astraux. Se balader sans enveloppe charnelle avait quelque chose de grisant que j'avais survolé auparavant. Même si j'étouffais dans mon lit d'hôpital, emprisonné dans le luxe aveuglant du Palace, mon esprit batifolait par-dessus le chantier qu'était devenu Mannah. Il retombait dans la caverne. Je pouvais au moins me permettre ça — un peu de liberté. Je ne m'étais jamais senti aussi acculé qu'aujourd'hui. La vie ne voulait pas me voir sourire, mais ma relation avec Eneko, que je rejoignis, la transcendait. Je n'avais plus que lui. On s'en était douté, mais ça se confirmait : ce qui nous liait dépassait tout entendement. Ce n'étaient pas que des flammes jumelles ou une simple amourette. La vie m'arrachait tout, mais lui restait près de moi, comme s'il était au-delà de la vie elle-même. J'y croyais, je voulais y croire...
Mais au fond, ça ne durerait pas.
Ce con débordait d'intelligence, de vaillance... Tout. Tout ce qu'il fallait pour mourir, justement. Dire que je n'avais pas assisté au Passage ! Mon petit ami reposait avec une divinité dans le corps. En espérant qu'il ne prenne pas la grosse tête... mais je ne lui en voudrais même pas.
Il dormait entre nos deux sacs de couchage. Les autres aussi semblaient en une paix relative et douteuse, alors je m'envolai de nouveau. Ils méritaient une bonne nuit de sommeil, presque autant que Valck, je devais l'avouer. On m'avait assigné au lit adjacent au sien. Le bougre ne bougeait plus, mais il respirait. Toutefois, son mutisme instaurait à l'infirmerie une ambiance déroutante qui n'avait fait qu'enflammer mon désir de m'en échapper le temps d'une balade.
Si mon petit ami était un Dieu, ma sœur était une déesse...
Le moteur de son scooter s'éloignait encore tandis que les coups de feu tentaient de l'abattre. Je n'avais toujours pas pleuré. Elle n'avait pas été là pour déclencher les larmes. À la place, j'étais resté silencieux, étranglé par une corde autour de mon cou. Mes orteils se baladaient près d'un précipice, celui que j'avais cru fuir à l'aide d'Eneko, après Aversion. J'y avais cru, mais on m'avait botté le cul, on m'y avait renvoyé, et cette fois, on m'avait attaché les chevilles, les poignets. Parce que sans famille, je n'avais pas le courage de me débattre. Seul le voyage astral me permettait de me délier de cette cruauté et de flotter vers l'infini, porté par la beauté anecdotique du monde.
Ils ne survivraient pas tous les deux. Je le savais. L'un d'eux y passerait forcément et je ne pourrais rien y faire. Le pire ? J'ignorais qui je préférerais perdre. Eneko ? Nayla ? Personne ne saurait, à ma place. Choisir entre une personne qui avait été présente pour moi toute ma vie, et une autre qui, même si présente depuis moins longtemps, me faisait... vivre. Mes débauches et abus qui avaient mené à mon E.M.I. ne justifiaient pas l'agressivité avec laquelle on me tiraillait.
Pourquoi ? Je m'étais battu corps et âme pour les sauver. Pourquoi me les arracher ? Pourquoi les clouer au mur et me donner le contrôle de la scie qui les menaçait ?
Mon esprit divagua. Je me laissai porté par la brise nocturne. La ville d'Ayan brillait au loin, derrière des champs de blé, comme si je venais de la peindre. La surplombant, les aquarelles du ciel et de l'océan se mélangeaient. Je devrais peut-être l'accepter. Mes tumultes n'avaient pas aidé à sauver le reste de ma famille. On avait écrit leur mort noir sur blanc. Devenir hybride m'avait octroyé de sacrées capacités, mais la manipulation du temps et de l'espace n'en faisaient pas partie, alors à quoi bon ?
Je verrais bien ce que l'avenir me réservait.
À cette hauteur, Arkan s'apparentait à une île flottante, perdue dans le vide. Que cachait ce dernier, d'ailleurs ? Jusqu'où pouvais-je monter ? Les étoiles étincelaient — il ferait beau pour l'apocalypse. J'y élançai mes mains spectrales, comme si je pouvais les caresser. La peine que je portais devrait m'écraser au sol, pourtant, je volais, un brin nostalgique. J'avais toujours aimé me balader la nuit, encore plus depuis que j'étais ange. Mes promenades n'étaient plus seulement terrestres ; elles me permettaient de respirer là où je n'y arrivais plus. Qui plus est, Aversion avait à jamais gâché mon amour des forêts. Il avait bien fallu trouver autre chose.

VOUS LISEZ
TRANSES 2: Conjuration
FantastiqueLe résumé ci-dessous contient des spoils du tome 1 ! Lisez à vos risques et périls ! _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ L'équilibre de l'univers menace de se briser lorsque Hel, la déesse des morts, est relâchée dans la nature. Conscients de leurs erre...