Chapitre 3 : Le téléphone sur mon banc

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BRIAN.

Le parc de Woodenpine était sans doute l'un des plus fréquentés de la ville, toutefois en ce jour pluvieux, les intempéries avaient su dissuader bon nombre des habitants de venir y faire un tour par peur sans doute d'attraper froid. Mais ce n'était pas quelques gouttes de pluie et un ciel grisâtre qui allait empêcher Brian d'accomplir sa routine matinale. Après son réveil, il prenait une douche froide, partait s'habiller et sortait. Une fois dehors il allait à Woodenpine où il achetait au kiosque ses deux indispensables : le journal du jour et un croissant. Une fois ce rituel achevé, il se posait sur son banc, le même que depuis cinq ans déjà, et lisait son journal en dégustant son croissant déjà froid. Après cela il pouvait lui arriver de s'éterniser, mais rarement en automne où la pluie l'obligeait tout de même à s'activer.

Brian avait vingt-cinq ans tout nets. Lorsqu'il était arrivé en ville, à vingt ans, il n'avait pour ainsi dire, aucun plan d'avenir. Puis, comme tout à chacun il avait laissé son rêve de devenir un grand joueur de guitare pour travailler dans le fast-food local. Mais il y avait une chose qui l'avait aidé à tenir : ce parc. Le premier jour, alors qu'il venait d'arriver en ville, il s'était posé sur un banc et avait admiré le paysage d'un air songeur, se promettant d'y venir jouer quelques airs de musique. Au bout de cinq ans il n'avait toujours rien jouer, mais venait systématiquement au même endroit. C'était son banc, sa routine.

– Bonjour monsieur Brian, comment il va aujourd'hui ?, l'avait salué le vendeur du kiosque ce matin-là, de ce même ton jovial qui lui avait attiré la sympathie du jeune homme. Un journal et un croissant, comme d'habitude ?

Brian lui répondit d'un sourire en prenant ses deux commandes et le paya, avec un petit plus pour le jour de pluie et la bonne humeur qu'il avait. Le vendeur jugea de bon ton de lui faire un petit compliment sur le fait qu'il s'était -enfin- rasé. Brian avait eu depuis ses quinze ans, un bouc blond et une moustache à faire fuir les plus sensibles. Il l'avait gardé pour deux raisons : parce que ça lui donnait, selon ses dires, un air de « guitariste » et que ça pouvait emmerder sa mère. Mais aujourd'hui il avait voulu se raser pour une raison qui lui échappait. Peut-être qu'il était temps d'arrêter de rêver, comme lui disait son père ? Il le remercia et s'en alla, achats en main, en direction de son petit banc.

Dans le parc aujourd'hui, comme il aurait dû s'y attendre, il n'y avait pas grand monde. Deux enfants et quelques parents, tout au plus. Un courageux ou inconscient qui faisait son footing, l'air toujours aussi inébranlable malgré la petite pluie et le froid. Brian ne lut pas le journal, de toute façon il ne le lisait jamais. Si c'était pour voir des articles stupides sur le « knock and hide », il en avait soupé. En plus il avait froid. Il fourra ses mains dans les poches de son trench-coat noir et enfonça sa tête dans ses épaules en essayant de se réchauffer. Il fit un sourire à la fille d'en face, une demoiselle lui faisait des œillades moyennement discrètes. Il avait toujours plu aux filles. Grand, musclé sans être le stéréotype du surfer, il était blond avec des yeux verts pétillants et un air humble plaqué sur le visage. Son sourire et sa mâchoire, d'après sa mère, étaient les deux plus grands atouts qu'il n'aurait jamais.

Il détourna le regard, pour ne pas inciter la demoiselle à faire le premier pas. S'il venait ici, c'était surtout pour être tranquille. Ses yeux dérivèrent sur ses pieds, puis sur le banc et là, ils se figèrent net. Un téléphone. Instinctivement il mit la main dans la poche de son jean pour vérifier s'il avait le sien, et il fut rassuré de sentir la petite forme rectangulaire dans sa poche. Alors à qui était ce téléphone-ci ? Brian prit le mobile dans une main et l'alluma. L'écran de verrouillage affichait un code à saisir et un fond d'écran représentant une fille. Elle avait des cheveux noirs de jais et de grands yeux bleus. Le teint pâle et des cernes, elle gardait quand même un grand sourire. Brian releva la tête pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas du téléphone de la fille en face de lui. Il tira la grimace lorsqu'il constata que la demoiselle était partie. Il n'avait pas eu le temps de l'observer assez pour se souvenir de sa tête. Est-ce que c'était celle sur le fond d'écran ? Il serra la mâchoire et tenta de garder une attitude logique.

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