Chapitre 24 : Vous n'êtes pas la bienvenue

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LILIAN.


Ce jeudi soir, comme tous les soirs, Lilian fermait boutique à 20h30, heure à laquelle toute la clientèle filait se draper sous des plaids bien installés devant leurs téléviseurs, à regarder la première connerie de Hollywood leur passant sous le nez, bien trop superstitieux et craintifs pour aller tard le soir dans une boutique d'occulte. Elle fermait à cette heure-ci et prenait une petite demie heure pour ranger sa librairie, nettoyer les tasses de café et passer un rapide coup de balais. Après cela elle rentrait ordinairement chez elle où elle se préparait un plat tout prêt dans le four à micro-ondes avant de s'effondrer dans son lit, morte de fatigue. Mais cette soirée-ci n'était pas comme toutes les autres. Il y avait quelque chose qui différait dans l'atmosphère, oui elle pouvait le sentir. Ce soir-là, elle n'était pas seule.

Un volume traitant de vaudou dans les mains, la rousse observa ses rangées d'étagères avec la gorge serrée. Les allées sombres que formaient les bibliothèques de bois étaient plongées dans le noir à cette heure, mais la libraire ne prit pas la peine d'allumer toutes les lumières de sa boutique. Elle n'était pas femme à se laisser marcher sur les pieds, encore moins par un individu indésirable. D'une certaine manière, Lilian avait plus peur des humains que des esprits. Après avoir passé des années à les étudier, la demoiselle se sentait plus à l'aise entourée par des fantômes que par des êtres de chair et de sang. La pensée que l'un de ces fanatiques de Fils de Sabbeth soit entré sans qu'elle le voit la fit pâlir, mais elle essaya de se ressaisir. Comme toute bonne personne fermant boutique tard le soir avec des tendances paranos, Lilian avait fait un stage pour obtenir un port d'arme à feu légal. Elle avait un revolver, minuscule, mais efficace, hérité de sa grand-mère, toujours fourré au fond de son sac à main. Et elle savait s'en servir.

La cloche au-dessus de la porte d'entrée sonna vivement d'un cri strident, ce qui fit sursauter la libraire, lâchant son livre de vaudou et se retournant immédiatement vers la porte. Son corps, qui était tendu à l'extrême, se détendit alors en voyant qu'il s'agissait d'une cliente. Lilian ramassa le livre, hébétée, et se redressa.

– Excusez-moi madame, je viens de fermer boutique. Il est vingt heures trente-et-une. Vous pourrez repasser demain.

– Quel dommage, répondit la cliente d'un air peiné. J'aurais vraiment, mais alors vraiment, besoin des informations de la grande Lilian Holmes.

L'intéressée regarda la femme avec un air soudain plus sérieux. Venait-elle de la qualifier de « grande » ? Comment connaissait-elle son nom ? Une connaissance, sans doute, quoique cette idée paraisse bien idiote, considérant le fait que peu de gens connaissaient sa boutique. Elle observa sa cliente avec un œil méfiant. La femme était âgée, dans les soixante-dix ans, peut-être plus. Elle était petite et voûtée, vêtue d'un manteau prune et de gants de cuir noirs. Ses cheveux blancs étaient noués en un chignon austère mais son sourire se voulant amical apportait un peu de chaleur au tableau, à l'exception du fait qu'il était particulièrement effrayant. Du genre à faire peur sans faire exprès. Mais le plus effrayant était les yeux rougis et larmoyants qui la fixaient. Comme si elle avait pris des litres de shampoing sur la rétine. Lilian remarqua la cicatrice sur la joue, ainsi que la lèvre fendue, et elle frémit de peur.

– Nous n'avons pas été présentées ?, demanda la libraire en s'avançant, d'un ton méfiant. On vous a parlé de moi ?

– Vous m'avez aidé mademoiselle, bien que nous ne nous soyons jamais rencontrées en personne. C'est mon petit-fils qui avait fait les démarches auprès de vous. Vous vous souvenez, Lilian ? Vous souvenez-vous de Gareth ?

Lilian se rappelait, oui. Elle se rappelait aussi avoir lu le journal ce matin-même et y avoir lu que cet homme avait découpé en morceaux plus de quatorze jeunes hommes.

Those Stories That We Won't TellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant