Chapitre 13

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Un jour, Mélanie perça à jour le mystère du nom du jeune homme que son esprit s'amusait à projeter. Si déceler une preuve tangible de son existence était un véritable parcours du combattant, elle avait fini par percer à jour ce mystère-ci.

Arthur était effectivement un garçon d'un autre siècle. Il aimait les livres, en consultait une large gamme toutes les semaines sur tous les sujets; sur l'Histoire, surtout. Elle ne pouvait dire de quelle époque il provenait, mais s'il y avait bien une chose qui ne l'attirait pas d'un poil, voire qui le repoussait, c'était la télévision.

Pour une raison obscure, à l'instar d'un chien qui grogne les aspirateurs en marche, son invité n'aimait pas voir Mélanie passer le temps devant un écran plat, les jambes étendues en travers de son canapé. La raison qu'il invoquait était principalement qu'il ne réussissait pas à se concentrer sur ses lectures lorsqu'elle regardait un programme. Elle lui proposait parfois d'aller lire dans une autre pièce et le combat se changeait en une vraie croisade contre son pauvre téléviseur.

Alors que Mélanie passait son après-midi devant une télé-réalité dont le niveau, elle le reconnaissait, ne relevait pas la barre du quotient intellectuel national, le fantôme avait commencé à montrer son agacement quant au bruit. Il fronçait à répétition les sourcils, et ses yeux sombres allaient et venaient depuis son livre sur les guerres du vingtième siècle jusqu'à Mélanie, avachis sur ses coussins. Il finit par claquer de la langue pour marquer son impatience.

Pourtant, la chaîne qu'elle regardait ne différait pas d'autres jours, et habituellement la tolérance de l'apparition pour ce genre de perturbations était plutôt élevée. Ses réactions commençaient à se faire sentir en fin d'après midi, lorsqu'il en arrivait aux derniers chapitres de ses livres. Mélanie observa son manège inhabituel avant de soudain comprendre ce qui l'agaçait:

— C'est le nom du type à la télé qui t'énerve? sourit-elle de sa trouvaille.

— On devrait interdire à ce genre d'énergumènes des prénoms aussi nobles, grommela le spectre sans relever la tête.

— Tu t'appelles Arthur! Alors ça, je ne m'attendais pas à la trouver de si tôt! exulta-t-elle, ce qui fit soupirer Arthur.

— Pourquoi est-ce que tu regardes ces...spectacles ridicules? Qu'est-ce que ça t'apporte de voir des gens se disputer dans une maison à longueur de temps? Ça n'est même pas bien joué.

— Ça me distrait. Tu n'allais jamais au théâtre, toi?

— Comme si j'avais le temps pour ça, quand j'étais encore vivant...même mort je n'ai jamais l'emploi du temps pour ces idioties, lança-t-il en levant les yeux au ciel, faisant mine de se replonger dans son roman.

— Si ça t'agace tant que ça, alors pourquoi est-ce que tu ne viens pas l'éteindre tout seul? le nargua Mélanie en agitant la télécommande devant elle. Tu ne sais pas le faire, peut-être?

Une chose étrange s'était produite ce jour-là: Arthur avait simplement relevé les yeux, lançant un regard noir dont lui seul avait le secret. Il s'immobilisa entièrement, et au bout de quelques minutes, sa pose figée commença à mettre Mélanie mal à l'aise.

Il ne se contentait pas de simplement la regarder depuis son siège: en fait, il avait bloqué chaque mouvement de son corps, des paupières jusqu'au bout des doigts en passant, elle en était sûre, par sa respiration imperceptible. Une attitude qui lui conférait des allures de statue, ou de peinture de tableau accusatrice dont on détourne le regard au tournant d'un couloir.

L'ambiance devenait inexplicablement lourde. Mélanie, comme attirée de façon magnétique par le regard sinistre d'Arthur, se lassa de faire des allers-retours éclair entre l'écran de la TV et ses pupilles assassines. Au bout de cinq longues minutes, elle se résigna à éteindre son programme.

— Pas besoin de savoir le faire, se moqua son opposant en se désintéressant encore une fois d'elle.

Mélanie ne répondit rien et se contenta de dégainer son téléphone pour aller sur ses réseaux. Elle déroula encore et encore les photos sur chaque plateforme en observant de biais Arthur. Il était à présent concentré sur son ouvrage, ses yeux suivaient en cadence chaque mot qui passait sous son regard. Elle réalisa alors qu'il ne lui avait pas donné confirmation pour son prénom, et décida qu'elle ne pouvait pas échouer si près du but.

— Arthur?

Il releva automatiquement les yeux. Elle réprima un rire et Arthur soupira sans pour autant s'énerver, comme pour laisser sa part d'amusement à une enfant qui pensait réussir à piéger un adulte. Au moins, elle ne lui poserait plus la question dix fois par jour.

Le Pacte des Ruines [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant