Mélanie fut déposée une rue avant son école par son père, en route pour le travail et remonté par une grande dose de caféine dans le sang. Mélanie, elle, subissait sa fatigue de reprise des cours. Arrivée devant le chemin de gravillons menant à son lycée elle claqua mollement la porte de la voiture et traîna les pieds dans les graviers. Une vague de tristesse l'envahissait à chaque mètre supplémentaire franchi entre elle et la grille. Après son hésitation de tenues de la veille, elle avait finalement opté pour un pull en col v noir et un jeans, comme une plaisanterie sous-entendue avec Arthur.
Mais il n'était pas là. Le spectre qui la suivait depuis déjà quelque temps avait décidé de faire l'école buissonnière et de ne pas montrer le bout de son nez, le jour où elle souhaitait le plus l'avoir à ses côtés. S'il ne l'aidait pas à proprement parler, il était un appui mental dans les moments de lassitude, comme celui-ci. Elle aurait eu besoin de discuter, même mentalement avec quelqu'un.
Elle grimpa la dizaine de petites marches menant à une grille basse aux barreaux de fer et s'engagea dans l'étroit chemin qui menait à l'entrée de son collège monotone.
Un large carré gris, verdâtre à certains endroits, des fenêtres bétonnées, rectangulaires; le tout entouré aux trois quarts d'une cour de bitume et de deux grands arbres leur faisant de l'ombre sur quatre étages les jours de soleil. Une architecture sans âme dans laquelle elle passerait cent cinquante jours d'ici la fin de l'année scolaire.
Le vestibule était bondé de monde; Mél passa rapidement devant l'allée de casiers, dépassa la porte de la vie scolaire à gauche, celle de la modeste bibliothèque à droite, arrivant enfin au niveau des deux larges escaliers qui montaient jusqu'à sa salle de classe. Elle gravit le premier étage — celui des laboratoires, à moitié vides la plupart du temps. Elle se fraya un chemin parmi la vague de collégiens qui se pressaient les uns contre les autres pour franchir la distance qui la séparait du second étage, ce qui était beaucoup plus sportif.
Une nuée de visages bougons, encore ensommeillés pour certains, jouait des coudes pour arriver à l'heure dans leur salle de classe. Certains se retournaient pour saluer un ami ou une connaissance en pleine traversée inverse, avant d'être rapidement happés par leurs camarades impatients.
Mélanie atteignit finalement l'étage supérieur, non sans peine. Elle franchit la porte verte délavée de sa salle d'histoire et s'installa sans bruit au fond de la classe, là où elle pourrait griffonner sur ses marges de feuilles. Elle s'assit à une des doubles tables vides, à côté du radiateur, lui-même placé juste en dessous de la fenêtre. Elle sortit un classeur de son sac, sa trousse et démarra son gribouillage.
Pourquoi est-ce que Arthur ne s'était pas montré? Une étrange insatisfaction la traversait en pensant que, peut-être, ce spectre était rattaché à sa demeure plus qu'à elle. Mais qu'est ce qu'elle racontait? Ça n'était même pas un fantôme, sinon une fêlure au crâne qui se manifestait selon les moments de la journée.
— Tu es la nouvelle, non?
Mélanie releva le menton de sa feuille, et tomba nez à nez avec un garçon qu'elle voyait souvent traîner dans les couloirs. C'était un garçon aux joues légèrement creusées, de grands yeux bruns et une voix encore chevrotante. Son tee-shirt aux inscriptions tendance et ses cheveux bruns en bataille lui conféraient des airs de nec plus ultra adolescent, si on ignorait volontairement son nez droit légèrement de travers. C'était pourtant un défaut que certaines filles trouvaient certainement charmant à leur âge — ou assassinaient méchamment suivant leur caractère.
— Oui, mais je ne suis pas beaucoup venue...bafouilla-t-elle, loin d'être prête à engager la conversation aussi tôt le matin.
— Qu'est-ce qui t'est arrivée? demanda-t-il en désignant son épaule enrubannée avec son menton, un coude appuyé sur le dossier de sa chaise.
— J'ai eu un accident de voiture en rentrant des cours.
— Sérieusement? Ce n'est pas toi qui as écrasé ce motard en septembre? demanda-t-il soudainement en écarquillant les yeux.
Mél ne savait pas s'il fallait rire ou pleurer d'une remarque aussi franche.
— Non, mais j'ai bien cru que j'allais y rester.
Techniquement, elle ne mentait pas. C'était sa mère qui avait percuté le pauvre homme —pas elle.
Son camarde fronça les sourcils, s'imaginant sûrement à sa place.
— Je m'appelle Hugo, et toi?
— Mélanie.
Son voisin de table, un type en pleine poussée de croissance, aux cheveux auburn et à l'air survolté s'était retourné aussi entre-temps et avait écouté le petit dialogue entre elle et Hugo. Elle avait vu ces deux-là ensemble dès la rentrée, et devina qu'ils se connaissaient depuis un certain temps : il leur arrivât de porter plusieurs jours d'affiler les mêmes tenues sans s'être concertés, les premières semaines. Mél songea qu'il n'y avait peut-être là rien d'extraordinaire venant de deux adolescents aux sempiternels sweat-shirts noirs.
La professeure fit irruption dans la classe et débuta le cours promptement, pressée de faire avancer son programme dès le deuxième mois de l'année. La première année de lycée avançait sans inquiéter qui que ce soit; un grand désastre pour leurs instituteurs débordés par le nombre de chapitres à faire ingurgiter d'ici sa fin. Mélanie essayait de se concentrer du mieux qu'elle pouvait, mais la voix soporifique de son enseignante la faisait à chaque fois tourner les yeux vers la fenêtre, et observer le lever du soleil derrière les rideaux.
— Je ne te connaissais pas des talents de menteuse; c'est plutôt prometteur, je trouve.
Mél reconnaissait cette voix mielleuse; elle l'avait espéré depuis son réveil, elle devait bien l'admettre. Sa tête pivota discrètement et elle découvrit Arthur installé à côté d'elle, un air moqueur sur le visage.
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Le Pacte des Ruines [EN PAUSE]
ParanormalLa vie de Mélanie bascule le jour où, à la suite d'un accident, elle est suivie par un mystérieux jeune homme, qui semble tout connaître d'elle. Qui est cet étranger que personne ne voit en même temps qu'elle? Qui sont ces personnes qui rôdent dans...