Chapitre 22

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Les yeux rivés sur son écran de téléphone, Mél faisait défiler son fils d'actualité de sa main valide au milieu du brouhaha de la première heure de cours de la journée. Son bras toujours replié contre elle, immobilisé pour encore une semaine, elle était assistée par ses deux nouveaux amis, Mathis et Maxime, qui portaient son sac sur l'une ou l'autre de leur épaule valide, sans broncher. Le duo semblait l'avoir adoptée, ce qui ne lui déplaisait pas. Elle se sentait appréciée et même un brin admirée par Maxime; elle comptait bien en profiter un peu.

Pour la première fois, l'école n'était plus si désagréable. Une ou deux filles bavardaient avec elle entre chaque cours et elles les retrouveraient encore à midi. La blonde de l'autre jour n'avait pas encore montré le bout de son nez, et Mélanie tentait de ne pas avoir d'appréhension quant à son arrivée.

C'était indéniablement l'une des têtes populaires de son école. Le seul compteur qui pouvait en attester était son nombre d'abonnés sur les réseaux sociaux, un peu plus élevé que la moyenne. Rien d'extravagant, mais Mélanie était tristement à la traîne de ce point de vue ci.

Arthur ayant parlé de faire quelque chose à ce sujet, elle avouait ne pas être contre un léger coup de pouce. Pour la plupart des gens, les réseaux étaient plus que nécessaires pour se faire un groupe d'amis; elle n'était pas dupe à ce sujet. Pas dupe, mais pas compétente non plus.

La matinée s'écoula sans que Arthur ne pointe le bout de son nez. L'adolescente commençait à être habituée à ses heures d'arrivée aléatoires; pourtant, elle se sentait étrangement observée depuis son arrivée au lycée. Cachée derrière ses cheveux bruns clairs, elle tentait de distinguer une présence du jeune homme autour d'elle; sans succès. Elle avait un pressentiment, celui qu'on la regardait non loin de là. Elle ne vit aucune paire d'yeux de toute l'heure de mathématiques, et abandonna donc ses recherches le cours suivant.

Alors qu'elle bavardait avec ses camarades de diverses histoires qui s'étaient créées en son absence en ce début d'année scolaire, elle aperçut son fantôme au loin, dans le hall traversant tout le bâtiment qui menait au réfectoire.

Il se tenait devant la porte vitrée menant au petit chemin vers la sortie, semblait soucieux, regardait au loin, guettant quelque chose qu'elle ne pouvait voir. Une mer d'élèves passait derrière lui , ruisseau dense qui courraient à la classe suivante, sans qu'il ne s'en soucie, rivé sur le dehors.

Elle l'estimait définitivement étrange ces derniers jours. Son état presque stressé ne la mettait pas en confiance. Pourtant, ses problèmes ne la concernaient certainement pas, voire étaient au-delà d'elle. Elle se souvint de ses paroles, deux nuits auparavant: il lui avait demandé si elle avait peur lorsqu'il approchait...et lorsqu'il était dans ses pensées. Pourquoi cela devrait-il l'alarmer? L'effet était réussi, mais difficilement explicable, voire dénué de logique.

Il la rejoint lorsqu'elle mangeait. Elle jetait des coups d'oeil dans sa direction, tout en restant discrète; non pas pour ne pas être vue, puisqu'elle savait que les autres ne remarquaient pas ses légers regards en coin. Il était pâle; elle ne lui demanda pas ce qu'il avait. Il ne lui accordait pas d'attention, et elle sut qu'il se concentrait sur quelque chose de...grave? Elle essayait de deviner ce qui tirait ses traits de manière aussi évidente.

Il lui adressa la parole une seule fois, alors qu'elle écoutait sa professeure d'histoire géographie:

— Tu dois poster plus de photos, déclara-t-il simplement, affalé sur un bureau vide de l'autre côté de la fine allée de passage. Prends exemple sur les filles plus âgées qui ont du succès.

Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez lui pour qu'il soit aussi évasif? Un jour il s'attelait à sa tâche, l'autre il la désertait?

La journée se passa sans encombre, et sans la fille blonde qu'elle redoutait. Mél sourit dans son trajet de retour, malgré le fait qu'elle se pose des questions sur celui qui était si volubile, d'ordinaire. Pourquoi était-il si silencieux, avaient-ils eu une discussion qui lui avait déplu, ou qui l'avait éloigné? Peut-être devait-elle apprendre à le considérer comme le simple agent d'une malédiction à venir. Peut-être n'était-il pas supposé agir autrement, et que attitude de départ n'était qu'une pure fantaisie.

Sa famille avait décidé de manger séparément le soir même : personne ne voulait faire à manger et sa soeur était sortie en ville avec des amies. Ainsi, chacun vaqua à ses occupations sans se soucier du reste, ce que Mélanie appréciait de temps en temps. Les repas du soir étaient sympathiques, mais tournaient vite aux interrogatoires sur la journée de chacun, parfois de manière mécanique.

La jeune fille se prépara une salade, mit le tout dans un grand bol et grimpa les escaliers pour s'installer devant son ordinateur en mangeant. Elle regarda assidûment son écran avant de lentement relever les yeux: Arthur était là, juste devant la fenêtre, debout dans la nuit bleue, de profil par rapport à elle.

Il ne se tourna même pas pour la regarder. La lumière de son ordinateur jouait sur le brillant de ses yeux; encore muré dans le silence. Le son de sa vidéo s'estompa presque en l'écoutant se concentrer. Ses yeux étaient rivés au loin, sur un point dans la nuit, sûrement dans la forêt, qu'elle ne pouvait voir. Elle ne bougeait pas, retint sa respiration en l'observant.

Elle se réveilla presque en sursaut. Elle s'était endormie devant son ordinateur sans s'en apercevoir. Arthur s'était volatilisé.

Mél repoussa l'ordinateur encore sur ses genoux, et posa son saladier vide sur son parquet. Elle rabattit la couette sur elle, l'esprit encore embrumé. En se couchant, emmitouflée dans ses draps, elle remarqua que sa porte était entrouverte; l'entrouverture donnait sur l'escalier. Elle ne s'en soucia pas et commença à fermer les yeux, lorsqu'un bruit de marches qu'on gravit résonna dans le couloir. Mélanie garda un instant de plus les yeux ouverts: les pas se rapprochaient...ou s'éloignaient? Personne ne venait. Elle fronça des sourcils: elle avait entendu le début des bruits de pas, ça n'était donc manifestement pas quelqu'un qui descendait?

La fatigue clôt ses yeux, coupant court à ses vagues interrogations.

Le Pacte des Ruines [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant