𝑷𝒓𝒆́𝒄𝒊𝒆𝒖𝒔𝒆 𝒑𝒐𝒖𝒑𝒆́𝒆. 𝑵𝒂𝒎𝒈𝒊

Dix-neuvième sentiment

Nam Joon est assis dans son grand fauteuil, enfermé dans son bureau. Il entend sa poupée jouer du piano dans le salon. Il ferme les yeux un instant, s'accordant une pause. Il lit des dossiers depuis plusieurs heures mais n'ose toujours pas ouvrir celui qu'il a reçu il y a peu avec l'identité des petites poupées. Il ne sait pas pourquoi mais, il a peur de ce qu'il pourrait découvrir à l'intérieur. Il recule toujours le moment où il devra lire les noms des victimes. Pour le moment, il se laisse envahir par ses souvenirs de la veille. Si YoonGi joue de manière si douce aujourd'hui, ce n'est pas pour rien. La nuit dernière, il pleuvait énormément et le vent soufflait fort. Le petit n'avait pas envie de dormir dans son lit, cela lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Celui d'être enfermé dans un dortoir avec ses sœurs, seul, caché sous ses draps. Il n'y avait personne pour le rassurer quand il était enfant et, il devait affronter cela en faisant abstraction de ses sentiments. C'était difficile. Alors, il a fini par sortir, accompagné de son ourson en peluche. Sans un bruit, il s'est introduit dans la chambre de son propriétaire et, il a osé s'en approcher.

Il s'est glissé sous l'épaisse couverture. Il a essayé de se faire tout petit pour ne pas être remarqué mais, ses pieds froids ont effleuré les jambes chaudes de son humain. Il a senti un frisson le parcourir et, il a un peu reculé, peureux. Nam Joon ne dormait pas et, quand il a entendu YoonGi, il n'a pas bougé. Il ne voulait pas l'effrayer et été curieux de voir ce qu'il allait faire. Il pouvait sentir son souffle chaud s'échouer sur sa nuque. C'était agréable. Le jeune homme a attendu encore un peu avant de se retourner. Son nez a frôlé celui de sa poupée. Leurs regards se sont croisés. YoonGi était prêt à quitter le lit, par peur de se faire gronder mais, il lui a attrapé doucement son poignet. Son humain l'a attiré dans ses bras, son front se retrouvant contre son torse. Le petit pouvait entendre les battements de son coeur et être rassuré, oubliant le vent et la pluie. Pour lui, tout avait disparu. Il ne restait plus qu'eux dans ce grand lit, loin du monde, protégé par leur bulle de tendresse. Il avait la sensation que tout se mélangeait et qu'une certaine harmonie se créait entre eux. C'était si doux. La grande main de son propriétaire s'est glissé dans ses cheveux, papouillant son crâne puis sa nuque. Il a regardé son humain qui lui a adressé un beau sourire puis un baiser sur son front. Ses joues sont devenues légèrement rosées et il s'est senti un peu trembler.

« J'aime bien quand tu souris, c'est beau. »

Nam Joon l'a remercié puis ajouté que lui ne l'avait jamais vu sourire. YoonGi a expliqué que, hormis son humain, il n'avait jamais vu quelqu'un le faire. Alors, il n'arrive pas vraiment. Il n'y pense même pas. Les fins doigts de son humain se sont glissés aux coins de ses lèvres puis, il les a étiré lentement. C'était bien trop adorable. Encore plus quand il s'est rendu compte que les joues de sa poupée sont un peu rondes et moelleuses. Il avait terriblement envie de les pincer avant d'y déposer quelques baisers. Il a découvert une nouvelle facette, bien plus douce. Il a laissé un rire s'échapper.

« Tu es mignon quand tu essayes. »

Le petit s'est redressé et a tenté une nouvelle fois. Il s'est forcé et, a réussi à esquisser un peu ses lèvres. C'est un bon début. Il est un peu ému, fier. C'est la première fois qu'il sourit. Son sourire est adorable, doux et avec le temps, il sera certainement magnifique. Il a hâte de voir cela. Malgré tout, il n'a pu s'empêcher d'attraper ses joues pour tirer un peu dessus. C'était tentant. La poupée s'est mise à gigoter en chouinant. Son côté si calme, froid et vide s'envole loin quand il est juste avec Nam Joon, dans leur petit univers. Après ce léger moment, ils se sont échangé quelques mots avant de s'endormir dans les bras l'un de l'autre.

L'humain ouvre les yeux puis quitte ses songes, posant son regard sur le dossier. Le retour à la réalité est difficile et cette soirée était tellement légère contrairement à tout le reste qu'il aurait pu penser à un rêve. Pourtant, en se réveillant ce matin, YoonGi était bien là à ses côtés. Mais, maintenant, il n'a pas le choix. Il doit lire ses documents. Il s'approche et commence à observer les fiches, une par une. Il se sent un peu nerveux de découvrir le visage des petites poupées. Il a l'impression de se glisser dans leur intimité tant les rapports sur leur vie sont détaillés. Enfin, il se stoppe sur un visage, un nom en particulier. Impossible. Pris de panique, il jette les papiers sur son bureau. Il a dû rêver. Ce n'est pas vrai. Il y a peut-être une erreur. Son rythme cardiaque s'accélère. Définitivement, il ne veut pas regarder ses documents. Il en est hors de question. Il fuit la vérité mais qu'importe. Il n'a pas envie de l'accepter. Il range tout puis glisse ça entre ses nombreux autres dossiers, tentant de la cacher pour oublier qu'il existe et surtout, que personne ne découvre ce qu'il renferme. Il veut effacer ce nom et ce visage de sa mémoire. Tout semble soudainement s'assombrir autour de lui et un violent coup de pression s'abat sur lui. C'est déstabilisant. De plus, il n'entend plus le petit jouer du piano. Que ce passe-t-il ? Le calme règne un instant. Enfin, des bruits de pas ainsi que des voix. Il reconnaît celle de sa poupée qui interdit à quelqu'un d'entrer sans autorisation. Il fronce les sourcils et se lève, prêt à intervenir à son tour si besoin. Au même moment, la porte s'ouvre et, HoSeok se présente à lui, le petit derrière pour le stopper. Il fallait qu'il vienne aujourd'hui, évidemment. Nam Joon essaye de garder son sang-froid. Il cache ses émotions et demande à YoonGi de les laisser. A contre-cœur, il obéit et laisse les deux hommes.

La conversation n'est pas encore lancée mais, la tension est déjà électrique. Son meilleur ami semble si différent. Encore plus de d'habitude. Il paraît plus sombre encore que les autres fois. Son regard est dur, presque méchant. Difficilement, le jeune homme tente d'engager une discussion banale concernant le travail. Il évite tout ce qui peut concerner son foyer, sa relation avec JiMin. Il n'a pas envie d'en parler. Mais HoSeok va droit au but et coupe vite l'autre. D'un ton froid, il lâche.

« Ne ramène plus ta poupée chez moi. »

Nam Joon reste silencieux. Son ami n'aurait jamais rien dit alors, peut-être que YoonGi a oublié quelque chose chez eux qui a pu le mettre sur la piste. Il n'aurait pas dû lui mentir, c'est vrai mais, il n'avait pas le choix. Il ne voulait pas laisser le petit seul à l'appartement. Il n'y avait que chez ses amis qu'il pouvait l'emmener sans crainte. Il garde la tête haute malgré tout et ne l'interrompt pas. Il semblerait qu'HoSeok soit en colère. Il a des reproches à lui faire, c'est certain. Il commence enfin. Pourquoi avoir choisi un objet et non un humain ? Le propriétaire ne répond toujours pas. Qu'importe ce qu'il dira, il ne sera pas écouté. Mais, son ami repose la question en haussant le ton.

« Je veux le protéger et de lui donner de l'amour. »

Ils s'échangent un regard et, quelque chose se produit. La situation s'aggrave. Il le distingue dans ses yeux. Il semble devenir encore plus énervé. L'autre attrape violemment son col de chemise et le maintien.

« Tu te rends compte à quel point tu es égoïste ?! Et si tu meurs un jour, il va devenir quoi ? Tu vas le laisser, seul dans ce monde ? Perdu ? Tu lui offres des sentiments et après ?! Tu disparais et lui reste.. ? Avec toute sa souffrance et sa peine. T'es cruel, Nam Joon.. »

Il ne bouge pas. Il n'a pas envie d'entendre ses paroles. Il ne l'est pas. Au contraire. Il essaye d'être un bon propriétaire et de transmettre tout ce qu'il peut à YoonGi. Différentes questions se mêlent. Qu'est-ce qu'il se passe dans l'esprit d'HoSeok ? L'humain pose sa main sur l'épaule de son ami pour le repousser. Il emploie des mots si durs, ça ne lui ressemble pas. Plus le temps avance, pire est son comportement. Il y a quelque chose d'étrange mais, dès qu'il essaye d'en parler avec lui, il se heurte à un mur. Il n'obtient aucune réponse et ne sait plus comment faire avec lui. Il n'a pas envie de fouiller dans sa vie intime, il en a déjà bien trop fait. Mais, il aimerait sauver son ami, le comprendre et savoir ce qui le pousse à avoir de telles réactions. Il aimerait prendre sa main et le tirer hors de cet océan obscure dans lequel il se noie. Il a besoin d'aide mais refuse tout. 

Aussi, pourquoi se permet-il de juger sa situation alors qu'il y en a tant à dire le concernant. Son comportement avec JiMin devient infernal et il l'enferme. Pourtant, il ne lui fait aucun reproche. Quand Nam Joon tente de lui adresser quelques mots, c'est pour essayer de l'aider. Mais, au final, à quoi bon ? Plus rien ne semble l'atteindre. Peut-être même qu'il est déjà trop tard et que le sauver est impossible. Le jeune homme espère se tromper. Il n'a pas envie de perdre son meilleur ami, celui qu'il apprécie tant. Qu'a-t-il raté pour que tout prenne une telle tournure ? Sa vie est si étrange depuis l'arrivée de YoonGi. Il a l'impression de vivre dans deux mondes opposés et de ne jamais si retrouver. La douceur qu'il peut vivre semble si éphémère et les douleurs toujours présentes. Dès qu'il s'éloigne un peu de son précieux être l'obscurité refait violemment surface et l'entour, ne laissant plus aucun répit à la lumière. Il ne peut pas choisir entre ses deux univers et il semblerait que l'un soit bien plus fort que l'autre. Il commence à craindre pour lui mais aussi pour son entourage. Perdu dans ses pensées, il ne rattrape même pas HoSeok qui quitte la pièce, silencieux.

Caché dans l'obscurité du couloir, YoonGi vient de le voir partir. Il a écouté la dispute. Cette question ne lui a jamais traversé l'esprit. Que ferait-il si son humain meurt ? Où irait-il ? Avec qui ? Cette simple pensée l'angoisse et le rend terriblement mal. Il ne veut pas y songer et préfère se rassurer en se disant que cela n'arrivera pas. L'ami de son humain n'était pas dans son état normal. Il était en colère, il ne pensait pas vraiment ses propos. Il refuse de lui donner raison. Ils vivent dans un monde dangereux, c'est vrai mais, il est formé depuis l'enfance. Troublé, le petit préfère retourner dans sa chambre et oublier ce qu'il vient d'entendre. Il n'a pas envie de perdre son propriétaire. Il veut rester à ses côtés et l'aimer pendant longtemps encore. Il se laisse glisser le long du mur, ramenant ses genoux contre son torse. Il aimerait que la situation évolue et que tout devienne plus doux mais, il commence à croire que cela soit interdit pour eux. Ils sont comme condamnés à rester dans cet univers obscur.