14 - Tinnitus

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Notes de l'autrice : alors, ne vous moquez pas du nom du chapitre, "Tinnitus" signifie "acouphènes" en allemand. C'est ridicule, mais si je mets "acouphènes", il n'y aura plus aucune cohérence dans les noms des chapitres. Voilà, bonne lecture.

***

Levi n'avait jamais été un enfant de cœur. Debout, entouré de tous ces hommes qui voulaient lui ôter la vie, le jeune homme d'une dizaine d'années maniait le couteau avec une dextérité sans pareille. Son arme était le prolongement de son bras, de son corps tout entier ; comme s'il était né avec. Un des hommes fonça sur lui, lame vers l'avant, mais l'enfant trancha d'un geste bref la main sale qu'il lui tendait. Un hurlement lui perça les tympans, pendant que l'un d'entre eux saisissait son cou par l'arrière. Le combat avait attiré une foule dense, entourant les combattants de leur curiosité morbide. Son œil chercha un visage dans la foule, celui de l'homme qui l'avait élevé ; et il aperçut son chapeau et sa silhouette gracile. Son regard indifférent lui donna la force de faire basculer l'homme vers l'avant, et il lui trancha la gorge avant de jeter le couteau dans le visage d'un autre, qui n'eut pas le temps de le voir venir. Pour survivre, il était devenu le plus fou dans ce monde où régnait la loi du plus fort.

« Si on te traite comme un chien, Levi, alors deviens le chien le plus féroce. »

Les mots de celui qu'il prenait pour modèle le galvanisèrent, et il sortit sa deuxième lame, toujours encerclé. Le gamin hurla de colère pendant que le sang de ses assaillants éclaboussait ses vêtements en lambeaux. Il découpait toute la chair qui avait le malheur de se trouver sous sa lame. Levi était le boucher des bas-fonds, le chien de chasse le plus enragé, l'assassin le plus redouté. Il était le Cerbères à une tête, non pas le gardien des enfers, mais le purificateur de ces enfers.

Néanmoins, son étoile avait disparu derrière les nuages.

Essoufflé, il parcourra la foule effrayée des yeux. Le petit brun put apercevoir quelques ivrognes au visage rouge, des filles de joie avec de la boue sur la peau, des drogués qui rigolaient. Il écarta quelques personnes de son chemin et tomba sur le dos de Kenny. Sa silhouette longiligne s'éloignait. La lumière qui le guidait dans cette obscurité l'avait fui. Le maître avait abandonné son chien dans les égouts.

Levi n'avait jamais été un enfant de cœur, mais les bas-fonds l'avaient transformé en monstre.

Le caporal ouvrit les yeux, soupirant. Cette rencontre faisait resurgir des souvenirs qu'il avait cru enterrés avec sa vie d'avant. Le visage calé contre la paume de sa main, les deux idiots n'avaient toujours pas fini leur réunion. Le bureau improvisé d'Erwin avait toujours une odeur sophistiquée, et il n'avait jamais su quel élément donnait à cette pièce cette ambiance charismatique. Probablement son propriétaire. Hanji tentait de convaincre le blond d'aller délivrer tout de suite les deux soldats disparus, alors que le major attendait que l'escouade qui était partie en filature revienne.

« On ne peut pas délivrer quelqu'un si on ne sait pas où il est, Hanji.

- Mais c'est mon seul sujet d'expérience ! J'en ai déjà perdu trop...

- Dès qu'ils reviennent, je te promets que je vais mobiliser tout ce qu'il me reste pour les délivrer.

- Ouais, en somme, pas grand-chose. »

C'était la première fois depuis deux heures que le brun ouvrait la bouche. Les deux gradés se tournèrent vers lui en silence. Depuis les conflits entre les corps d'armée, le bataillon d'exploration n'était plus financé par quoique ce soit. Il n'avaient plus que quelques soldats et des chevaux.

« Il nous reste les soldats les plus braves de l'humanité. »

Le plus petit haussa les épaules. Il détourna le regard vers la fenêtre. Dehors, la pluie inondait les trottoirs et lavait les tuiles encore ensanglantées. Ils avaient, une fois de plus, changé de planque. Peu importe où ils s'installaient, le caporal se sentait sale, mal à l'aise. Depuis Kenny, tout son corps le grattait comme une immense plaie béante. Le boucher des bas-fonds entendait les voix lointaines de ses amis qui avaient repris leur conversation. Par-dessus, la voix du grand maigre résonnait, avec son accent inimitable et ses mimiques insupportables. Il pouvait entendre les râles des souterrains, les hurlements des clochards, les gémissements des prostituées et les bruits des couteaux qui découpaient la peau. Par-dessus cette conversation, les acouphènes de sa vie d'avant retentissaient comme des cloches dans une église. Elles chuintaient, ces cloches, malgré sa volonté de les ignorer, malgré son vœu de les briser.

「À mon signal, déchaîne les enfers」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant