27 - Sternen

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Les nuages noirs déchiraient le ciel de mitraille. À l'horizon, le mur Sina était recouvert d'un tableau sanguinolent. Le district de Stohess semblait désert. Une ville fantôme. Les ruines semblaient sourdre la terre humide, sur laquelle ondulaient lascivement des flaques écarlates. Le silence semblait avoir paralysé l'humanité entière dans une torpeur mortelle.

Elle avait beau crier, elle n'entendait pas l'écho de sa voix. Elle avait beau marcher, elle ne trouvait pas une âme qui vive. Mikasa se sentait vulnérable et menacée, dans cet endroit vide. Son errance saccadée s'acheva sur un énième tas de ruines aux tuiles rouges. De manière instinctive, la soldate se dirigea vers celui-ci. Elle sentait qu'elle était reliée à ces vestiges en particulier. Elle aperçut un bras infantile dépasser des débris rocailleux, et la brune put presque entendre son cœur battre au creux de ses oreilles. Celles-ci bourdonnaient. À chaque pas vers ce membre diaphane, ses poumons s'enserraient.

Une main invisible vint l'étrangler, et dès lors, la jeune femme ne put respirer. Malgré ses pas titubants, elle s'effondra devant l'enfant mort par sa faute. Mort pour sauver ses camarades. Son visage livide semblait murmurer, à travers les insectes grouillants dans ses cavités dévorées : « pourquoi ? ».

Sa vision devint progressivement floue, et elle sentit quelques larmes couler le long de ses joues. Elle ne pouvait pas s'excuser, à cause de la culpabilité qui l'étranglait. Elle avait tant besoin d'air. Devant son visage devenu rouge, celui du gamin prit les traits de Carla Jäger, et ses larmes redoublèrent d'intensité.

Mikasa Ackerman se réveilla en sursaut. La sueur coulait encore sur son front pâle, et ses doigts graciles étaient douloureusement accrochés à ses draps. Elle sursauta encore, lorsqu'elle entendit Sasha ronfler. Néanmoins, la soldate fut rassurée de ne pas avoir réveillé son amie. Discrètement, elle enfila les vêtements qu'elle avait préparé la veille, et s'éclipsa avec la nuit.

L'aube l'accompagna jusqu'à la lisière de la forêt. Elle profita de l'air frais qui fouettait son visage pour se remettre de ses émotions. Cela faisait plusieurs semaines que l'événement de Stohess s'était passé, mais les séquelles de sa culpabilité venaient toujours hanter ses rêves. Ainsi, elle grimpa à l'arbre qui donnait une vue splendide sur la plaine en contrebas, et se mit à songer au visage rieur de Levi. La branche était toujours au sol, mais les souvenirs demeuraient là. Ainsi, l'asiatique admira en silence le lever du soleil, et détaillait avec attention les rayons qui caressaient les cimes des arbres. Le temps semblait s'être arrêté. Elle pensait à la reconquête du mur. À la dangereuse mission d'Eren. Au plan. Elle maîtrisait à merveille les nouveaux équipements, mais avait peur que ses amis ne soient pas assez familiarisés avec...

Un bruit sourd la fit sursauter. Armin pénétra dans son champ de vision. Depuis combien de temps était-elle restée sur cette branche ? Le soleil était déjà haut dans le ciel. Il avait l'air préoccupé. En effet, Arlert avait toujours l'air angoissé avant les opérations. Peut-être était-ce normal. Peut-être était-ce juste humain.

« Mikasa, il faut que tu ailles manger... Le mess va fermer.

- Je n'ai pas vu le temps passer.

- On va bientôt partir. »

Les deux amis se figèrent en silence. Ils allaient partir pour Shingashina. C'était peut-être pour cela qu'elle avait ressenti le besoin de s'isoler ici. Ils allaient retourner à la scène d'exposition de cette vulgaire tragédie, au commencement de cette grotesque farce, à la ligne de départ de cette course contre la mort.

Elle se souvint de ce jour. De l'apparition du titan colossal, alors qu'elle était dans cette rue avec ses deux amis. Des débris de pierre qui volaient dans le ciel. Mikasa ferma les yeux et se souvint de tout. De l'odeur du sang qui se mélangeait avec celles des excréments et du vomi, de la couleur garance qui colorait les ruines des bâtiments, des hurlements, de la terreur. Elle se souvint de son impuissance à soulever ces pierres qui retenaient Carla prisonnière. Son cerveau rejoua la scène comme si elle s'était passée la veille, et les images de son rêve se superposaient à ses souvenirs. Carla qui pleurait, seule, alors qu'Hannes les emmenait loin de ce titan. Le souvenir de son visage écartelé, décoré d'un énorme sourire, lui fit froid dans le dos.

「À mon signal, déchaîne les enfers」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant