Partie 1 Chapitre 2

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Une semaine vient de s'écouler depuis le tragique accident de mes parents. Je suis recueilli par l'adjoint de mon père, William Smith et sa femme, en attente de mon futur déménagement. J'ai eu l'impression de flotter en dehors de mon corps pendant toute cette période. J'ai passé la semaine à dormir et à m'alimenter par obligation, répondant aux questions par monosyllabes. Je suis en état de choc. Je n'ai que 14 ans et j'ai l'impression que ma vie vient de se terminer. Le jour que j'appréhendais le plus vient d'arriver. Je dois me reprendre afin de rendre un dernier hommage à mes parents.

La maison funéraire Coble Ward-Smith à Wilmington est bondée de gens venus rendre hommage à deux personnes très respectées de la communauté. Ma vision est voilée par la scène qui défile devant moi. Tout se déroule très vite. Les gens s'entassent à l'intérieur de la petite chapelle se regroupant en petit groupe pour discuter. Les cercueils fermés de mes parents prônent au-devant de celle-ci. Une photo prise le jour de leur mariage est installée en biais sur un chevalet. Des gerbes de fleurs embellissent cette scène tragique qui est ponctuée de sanglots venant de toute part.

Une file interminable d'étrangers avance devant ma grand-mère et moi à l'entrée de la salle pour nous serrer la main. Je dois accepter les condoléances, une après l'autre, de gens que je n'ai jamais vus et qui se disent peinés que je me retrouve orpheline si jeune.

 – On adorait votre mère, elle nous manquera à tous, me dit une ancienne collègue en essuyant ses larmes avec un mouchoir.

– Je suis sincèrement désolé pour vous, mademoiselle Parker. Si jeune, c'est tragique, me dit un homme ventru en me serrant la main un peu trop fort.

Je ravale mes larmes à chaque nouveau visage qui se présente devant moi. Je le dois, en l'honneur de mes parents. Je dois montrer à tous que je suis forte. Mais tout ce que je souhaite est de pleurer jusqu'à tomber d'épuisement et de ne jamais plus me réveiller. Comment vais-je pouvoir vivre avec cet immense chagrin qui m'habite et qui me tue à petit feu ?

Ma grand-mère qui est à mes côtés essuie ses larmes à chaque mot de gratitude que les gens expriment à propos de son fils. Je sais que tout cela est que pure comédie. Cette octogénaire n'a aucune once de compassion. Son seul plaisir est de colporter des ragots sur les gens du village où elle habite. On pourrait en dire autant sur cette mégère. Elle a toujours été méchante envers moi et mes parents. Je n'ai aucun heureux souvenir partagé avec cette vieille femme. Tout ce que je connais d'elle vient des histoires racontées par mes parents.

Elle a renié son fils unique, mon père, lorsque celui-ci a rencontré sa future femme à un bal de promo. Grande brune au charme irrésistible et à la personnalité angélique, il est tombé follement amoureux d'elle. Il formait le couple idéal. En revanche, cette jeune femme avait été élevée dans la religion catholique, ce qui n'était pas le cas de mon père. Celui-ci a donc mis de côté sa religion baptiste pour vivre cet amour réciproque. Ils se sont fréquentés longtemps en secret. Mais lorsque leur relation est devenue plus sérieuse, ils ont été obligés de tout dévoiler.

Ce fut le pire blasphème pour ma grand-mère qui ne prêche que pour les écritures de la Bible. Fervente réformée de cette religion, elle disait qu'il n'y avait pas de pire péché. Malgré les tentatives désespérées de renouer avec sa mère, mon père dut se résoudre à vivre sa vie comme il l'entendait. Je n'ai vu ma grand-mère qu'à de rares occasions durant toute mon enfance. Des visites de convenance qui s'avéraient très brèves. Mon aïeule, maintenant d'un âge avancé, n'a jamais daigné prendre des nouvelles de sa seule petite-fille prétextant qu'elle est le résultat d'un péché abominable. Pour cette femme bornée, les écritures de la Bible ne permettent pas qu'on puisse vénérer un autre Dieu. Me voilà maintenant prise dans ses filets. Que sera ma vie auprès d'elle? J'angoisse juste à l'imaginer.

Au signal du pasteur, les gens prennent place sur les chaises alignées faisant face à l'autel. Ma grand-mère et moi allons nous asseoir au premier rang réservé pour nous. Une douce musique embaume l'ambiance surchargée de tristesse. Après la lecture de la liturgie du célébrant, les gens se lèvent à tour de rôle pour raconter les bons moments vécus avec les défunts. Ces souvenirs sont nombreux et impérissables. Les gens fondent en larmes au rappel de la gentillesse de ma mère ou éclatent de rire en se remémorant les blagues que mon père faisait pour détendre l'atmosphère lors de réunions. Malgré les témoignages touchants, je tiens le coup jusqu'à la fin de la cérémonie.

Mes parents sont déposés en terre pour leur dernier repos au Oleander Memorial Gardens. Les larmes coulent sur mes joues, mais aucun sanglot ne s'échappe de mes lèvres. Les gens déposent des roses rouges sur les cercueils, les fleurs préférées de ma mère. Je n'ai plus de force. L'énergie électrisante que j'ai toujours eu fini par quitter mon corps. Après un dernier adieu, les gens se dispersent pour rejoindre leur voiture. Je suis incapable de mettre un pied devant l'autre. Je suis tétanisé devant les cercueils qui commencent leur descente dans la fosse. Après quelques instants, je sens le bras de Mme Smith venir me porter secours.

En m'appuyant sur elle, je me dirige vers sa voiture. Madame Smith prend place sur la banquette arrière et m'invite à faire pareil. Elle me tient la main dans l'espoir de me réconforter. Je suis reconduite chez moi par son mari, l'associé de mon père. Celui qui était son adjoint depuis plusieurs années était devenu un ami sincère au fil du temps. Aucun mot n'est prononcé tout au long du trajet. La tête appuyée contre la fenêtre, je regarde le paysage qui défile au ralenti. C'est la dernière fois que je vois ces rues qui partagent mes souvenirs. Les larmes coulent en abondance sur mes joues. Je n'ai plus d'énergie pour les retenir. On peut ressentir le malaise qui embaume l'ambiance de la luxueuse voiture. Monsieur Smith regarde à l'occasion dans son rétroviseur pour voir si je tiens le coup.

Le trajet me parait court, trop court. Le portail s'ouvre devant la voiture, nous accueillant avec son allée parsemée de fleurs. C'est déchirant lorsque j'arrive devant chez moi. Je dois me parler silencieusement pour retenir mes larmes à la vue de cette maison qui m'a vu grandir et où je n'ai connu que du bonheur. L'endroit où j'ai embrassé mes parents pour la dernière fois. Ce lieu où mes amies étaient les bienvenues à n'importe quel moment. Maintenant, je ne pourrai plus les voir. Je ne pourrai plus partager avec elles nos récits d'amourettes avec certains garçons de ma classe. Cette maison n'entendra plus mes rires et mes folles histoires.

Le secret de la roseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant