Chapitre 10 - POV 3.4 (Nuke)

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J'y pense constamment.

J'ai pu me rendre compte à quel point le contact d'un autre être humain m'avait manqué, mais en dehors de cette constatation, le toucher de ses doigts m'a formellement ensorcelé.

Nina...

Je me console en regardant ses lives en navigation privée, de sorte que quiconque ignore ma présence. J'ai l'impression ainsi d'apprendre à la connaître un peu mieux et ça me démoralise: je suis finalement comme tout ces viewers qui fantasment et se croient entrer dans l'intimité du streamer. Ce n'est qu'une illusion, comme beaucoup de ce qui entoure les gamers et la plupart des personnages publics face à une assistance.

Qu'est-ce qui me différencie du millier d'autres personnes de savoir qu'elle avait commencé des études en pharmacologie avant de se consacrer entièrement au gaming? Rien.

Alors, je m'accroche à ce qui est vrai: notre rencontre, notre douche, nos étreintes, notre entente; ses gémissements, sa peau, ses lèvres, son rire, ...

A partir de la troisième semaine, je me plonge dans le travail en tentant de la chasser de mon esprit. Je ne vais pas négliger ma carrière à cause d'une rencontre fortuite, aussi vivifiante soit-elle.

Au bout d'un mois, je me masturbe toujours en revivant la chaleur de son corps, mais j'ai perdu l'espoir qu'elle m'appelle. Je me défends de lui chercher une excuse: tout ce que je pourrai imaginer sera forcément pire que la réalité.

Je me persuade que c'est mieux ainsi.

Les boulots s'enchaînent, ponctués des nombreuses conventions des mois printaniers et de quelques visites à ma mère. Nous discutons longuement de mes états d'âmes et elle en arrive aux mêmes conclusions que moi: j'ai la chance de pouvoir lâcher l'une de mes activités pour ne garder que ce qui me fait vraiment kiffer, et si cela doit signifier abandonner la route des pros, soit. « Si tu ne te sens plus à l'aise dans ce genre d'événement, ça se comprend, Luc, me dit-elle deux jours plus tôt pendant que nous nous promenons avec Wifi.

— Les mentalités semblent avoir tellement changées... Avant, on se lançait des punchlines caustiques pour faire le show et on buvait un coup ensemble après la LAN. On savait qu'il y avait des choses à ne pas dire pour ne blesser personne. Maintenant, c'est de la méchanceté et des coups bas de tous les côtés pour faire le plus de vues.

— J'ai vu la S-Weeks, acquiesça-t-elle. Fais ce qui est le mieux pour toi, mon chéri. Personne ne pourra te reprocher de manquer de combativité. A dix-huit ans, tu jonglais déjà avec plus de cordes qu'un homme avec tes diplômes n'en voit dans sa vie. Tu t'es battu pour tracer ton chemin à l'âge où les autres parlaient des filles en jouant au foot aux Bonniers! »

Elle non plus ne fait pas mention de Rosalie: c'est un tabou même entre nous.

En la quittant, sur le pas de la porte, elle m'a étreint et dit qu'elle était fière de moi. Ça suffit à mon bonheur en attendant l'Assembly. Lorsque la date approchera vraiment, l'effervescence reviendra, mais pour l'instant, je me concentre sur ce que j'ai. C'est déjà tant!


A tiers-parcours de la date butoir, je reçois des nouvelles de Nina d'une étrange façon: via un mail de Javoue. Toutes les fins de mois, ma modératrice multi-tâches m'envoie un récapitulatif des propositions d'explications de mon surnom sous forme d'un joli fichier Exel comprenant les noms, pseudos, mails, et histoires qu'elle a reçues. Je n'ai plus qu'à choisir et sortir la punchline la prochaine fois qu'on me demande d'où vient "Nuke". Si l'histoire tombe à plat, pas de prix gagné... Mais généralement, les initiés rigolent derrière leur écran et dans le chat, tandis que j'offre le sub en live, et que Javoue se charge de demander les données bancaires du gagnant.

Versus [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant