Chapitre 15 - POV 1.6 (Nina)

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Je lève les yeux sur l'immeuble. Je ne devrais pas être là. Maintenant que j'y suis, mon entreprise me paraît hasardeuse. Voir inconvenante.

En suivant l'adresse de facturation que Maître Gallio a mis sur le bail de ma mère, je m'attendais à arriver aux bureaux de Nuke. Mais c'est un immeuble de rapport fraîchement modernisé que j'ai sous les yeux. Son adresse personnelle, donc.

Je suis devant chez Nuke... Chez Nuke!

Et je ne sais pas quoi faire ensuite.

J'aurais peut-être dû y penser avant de prendre l'avion pour la France un jour plus tôt que prévu avec Robin, mais je suis comme ça: j'ai une idée en tête, je sais comment la concrétiser, alors je le fais. Les conséquences sont secondaires.

Le troisième (et dernier étage) est plongé dans le noir. Je regarde ma montre: passé onze heure. La plupart des streamers dorment à poings fermés à cette heure-ci. Cette information m'aide-t-elle à décider ce que je fais ensuite? Non.

Je pourrais l'appeler: salut Nuke, j'suis en-dessous de chez toi, tu m'ouvres? Je pourrais juste sonner à sa porte: salut Nuke, j'suis là, la pêche? Ou attendre qu'il guérisse et sorte de chez lui: salut Nuke, tu peux enlever les toiles d'araignées qui me collent au mur?

Glorieux tout ça.

En désespoir de cause, je vais me chercher un café au Starbucks devant lequel je suis passée en venant d'Orly, et je me cale dans un coin du porche de l'immeuble de Nuke. J'essaye de penser à autre chose dans l'espoir qu'une idée lumineuse n'éclaire la situation.

Je sirote mon café, observe le joli parc où les gens vont et viennent en ce lundi. Le ciel est clair, l'air est doux, le quartier calme, idéal pour folâtrer, sortir son chien ou ses gosses. Un quartier de vieux ou de jeunes mariés. Bizarrement, ça colle bien avec ce que j'ai pu discerner de Nuke.

« Nina... » Je lève les yeux. Un homme proche de la quarantaine se tient sous les marches devant moi. Je ne le connais pas. « Vous êtes Nina, n'est-ce pas? » Comme je reste bouche bée, il parcourt la distance qui nous sépare pour me tendre la main. « Nous nous sommes parlés il y deux jours sur TS. Je suis Cutter. » Son derusher et modo en chef!

Je me hâte de lui serrer la main: « Enchanté, Cutter.

— Moi de même. Nuke ne répond pas à la porte? »

Je regarde la rangée de boutons d'appel qu'il désigne. « Je n'ai pas sonné.

— Ah! » Il sourit en coin. Ça le rajeunit et fait apparaître un pli rieur au bord de ses yeux. « Il ne sait pas que vous êtes là, comprend-t-il. »

Je grimace pour toute réponse, ce qui lui arrache un rire chaud communicatif.

« Je suis venue sur un coup de tête, avoué-je, mais j'ai peur de le réveiller. Puis je ne crois pas que Nuke soit du genre à apprécier les visites surprises.

— C'est sûr, reconnaît-il rêveusement en levant le nez vers les étages. »

Il inspire et s'assied à côté de moi sur la marche. Les coudes sur les genoux il observe les promeneurs comme moi quelques instants plus tôt. « En conduisant ma fille à l'école, j'ai vu l'épicier lui faire une livraison au petit matin. Il ne dort pas. Il dort peu. »

Il croise les doigts entre ses jambes comme s'il faisait une prière silencieuse. Du coin de l'œil, je dévisage son expression pensive. « Il cuisine quand il n'a rien à faire, m'explique-t-il en reportant les yeux sur moi. Je me suis dit que j'allais voir s'il avait besoin d'aide, histoire qu'il garde son gilet de contention. » Nuke cuisine?! J'essaye d'imaginer sa silhouette musculeuse se déplaçant dans une cuisine et ça me parait si fabuleux que j'en ricane. « Incroyable, hein?! fait Cutter comme s'il suivait mes pensées. Mais il est plutôt doué en fait. Sa mère lui a appris à se débrouiller. »

Versus [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant