Chapitre 54 - POV 1.21 (Nina) Suite alternative

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Les jours se succèdent et se ressemblent. Plus personne ne cherche à m'évincer de la chambre le soir ou ne m'empêche d'y accéder le matin. Lorsque l'infirmière souhaite préserver l'intimité du patient, elle tire le rideau ou me propose gentiment d'aller prendre un café.

Nuke parle peu ou prou. Il reste dans ses pensées en ne répondant que par monosyllabe à ce qu'il décide valoir la peine. Mais son état physique s'améliore tout relativement.

Pour l'aider à prendre son mal en patience et amener un peu de ce qui se trouve à l'extérieure dans sa chambre, je sors régulièrement un emballage sous vide de la boîte d'archive. Des lettres, mails, cartes, cadeaux de sa commu', soigneusement sélectionnés durant des heures passées à tout éplucher avec ses collègues d'InterStream. Ils ont mis la main à la pâte, ravis de pouvoir faire quelque chose. Nous avons même bien rigolé parfois (surtout avec Lexir), au détour d'une figurine d'Ekun particulièrement réussie, ou d'un courrier bourré de calembours.

Nuke s'est troublé en écoutant la voix que j'ai pu donner à Javoue, Tania, Tilt, Simba, Riri, FoukoBino ou encore StillMan, ses modos et/ou viewers de la première heure.

Un matin, après des semaines, le dialyseur a disparu de la chambre, et je me permets de lâcher un peu du stress qui ne quitte jamais mes épaules. Il me semble même que mon joueur soit plus détendu, lui aussi.

Le temps continue de filer, invariable. C'est ce que je croyais, jusqu'à ce que je revienne d'avoir dîner et que je surprenne sans le vouloir une conversation entre Nuke et Miles, dissimulés derrière le rideau.

« Vous ne comprenez pas, docteur, alors je vais vous le dire différemment. J'ai une anecdote, si vous permettez. De ces histoires qu'on ne raconte jamais à sa mère. Vous voyez?

— Je vois oui. Je vous écoute.

— Vous connaissez mon dossier, vous pouvez imaginer comment était ma vie à quinze ans. Tout le temps malade, malingre donc, à l'écart. J'étais le gars qu'on ne choisit qu'en dernier dans son équipe au cours de gym. Durant l'un de ces cours, un camarade m'a jeté un ballon de foot qui m'a frappé en pleine tête assez fort pour que je percute le mur du gymnase. Par pure méchanceté, et peut-être jalousie : j'étais déjà plutôt connu dans la sphère e-sport comme celle d'internet. Je n'ai rien dit à personne à propos de l'incident. J'avais besoin de dominer la situation. Je ne voulais pas retourner à l'hosto, passer mille examens et me retrouver alité encore. Je n'ai rien fait.

» Ce qui devait arriver, arriva. J'ai commencé à avoir mal à la tête. De plus en plus. Des migraines atroces. J'encaisse généralement la douleur. Mais celle-ci... Dans celle-ci, la souffrance était trop horrible pour me permettre de la surmonter par une simple montée de dopamine. Ça me faisait si mal que je n'en dormais plus et que j'en vomissais tout ce que j'avalais. J'ai néanmoins continué de me taire. Et j'ai enduré. Parce que je le pouvais, tout simplement. Parce que j'avais quinze ans et que je m'en fichais!

» En quelques semaines, je ne ressemblais plus qu'à un tas d'os. Je mangeais – pas beaucoup mais je mangeais – donc on ne comprenait pas. J'étais devenu si méconnaissable que l'école a appelé les services sociaux. Ma mère les a tenu à l'écart pendant un temps: c'est quelqu'un, ma mère! Mais, me pensant anorexique, on l'a finalement menacée de m'hospitaliser contre son avis pour me gaver de force.

» Ce soir là, je suis allé me coucher normalement. Ma mère était devant la télé. Elle a monté le volume. Elle faisait toujours ça pour pouvoir pleurer sans que je l'entende. Mais ce soir là, elle pleurait si fort que ça n'a pas fonctionné. Ses pleurs... J'en frissonne encore en y repensant! Ils étaient si déchirants. Ils reflétaient un tel désespoir... Je ne pouvais plus m'en ficher!

Versus [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant