Chapitre V

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Bip.

Premier son qui me parvient.

Bip.

Entêtant. Désagréable. Il résonne trop fort dans ma tête.

Bip.

Encore un signe que je suis en vie. Déception. Quand cela s'arrêtera t-il?

Bip.

Je ne compte plus les périodes de noir. Mais en même temps, la lumière me fait peur. Le noir est désormais familier. Brutal. Violent comme les coups de ces hommes sur mon corps, comme le courant électrique qui disloque mes os. Non. Stop. Je ne suis plus prisonnière. Je me souviens. Hôpital. Enfin, l'aile médicale. C'est ce que Steve a hurlé avant que je plonge une nouvelle fois dans le noir. Et Natasha?

Bip.

L'attraction. Oui, c'est ça! Elle m'a regardée et puis... Impossible de résister, impossible de fuir. Son regard hypnotique. Ses yeux verts, sa chevelure. Dieu qu'elle est belle. Sécurité. C'est ce que je ressens dès qu'elle est là. Comme si... comme si rien ne pouvait l'atteindre, rien ne pouvait nous atteindre. Je le ressens, là, dans ma poitrine. Sa présence fait un baume a ma douleur. D'un simple regard, avec juste quelques mots, elle a enlevé le poids de ces dix dernières années. « Je te protégerai ». Pourquoi ces mots me sont-ils si familier? J'ai beau chercher dans les tréfonds de ma mémoire, rien. Le néant. Juste cette obsessionnelle impression de n'être qu'un pantin. De n'être pas moi-même, que mon propre corps ne m'appartient plus.

Bip.

Pourquoi? Pourquoi j'ai tellement l'impression de la connaitre, l'impression que je devrais l'enlacer de toutes mes forces, alors que je n'ai aucun souvenir d'elle? Toute la tension, la douleur, la peur de ces dernières années retombent, et la frustration de ma mémoire vide est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Des larmes s'échappent de mes yeux encore clos, descendant en torrent le long de mes oreilles pour terminer leur course dans mes cheveux.

Bip. Bip. Bip.

Respiration saccadée. Ma poitrine se soulève, comme si toutes les émotions enfouies ressortaient à la surface d'un seul coup et toutes ensemble. C'est trop lourd, trop intense pour mon corps fragile. La douleur revient elle aussi. Et toujours plus de larmes. J'ai froid, le coeur au bord des lèvres et l'estomac dans les talons.

Bip. Bip. Bip. Bip.

Du mouvement. Je le sens autour de moi. Plus précisément, je sens que quelqu'un s'approche. Peut-être est-ce dû aux années de silence à écouter les va-et-vient dans le couloir, à reconnaitre les différents types de pas, notamment ceux qui me murmuraient à l'oreille « il est temps de souffrir à nouveau » mais quoiqu'il en soit, je sais quand quelqu'un vient vers moi et c'est définitivement le cas. Réflexe de survie, encore et toujours, et je tente de lever un bras - il pèse dix tonnes - pour me protéger même si je sais ce qui vient après. On m'attrape le bras, on le tord dans mon dos, le brisant presque à chaque fois. Routine. Mais pas cette fois.

Cette fois, une main chaude - est-ce un bandage que je sens? - se glisse dans la mienne et ses doigts s'enlacent aux miens. Une autre main se pose délicatement sur mon front, s'essuyant doucement la sueur puis les larmes du bout des doigts.

Bip.

Cette fois, une main dégage les cheveux qui tombent sur mon front. Cette fois, une voix me murmure de choses réconfortantes à l'oreille, attendant aussi longtemps qu'il faille pour que le moniteur revienne à la normale. Cette fois, une fois ma respiration calmée, des lèvres embrassent ma tempe, puis ma joue avant de s'attarder presque trop furtivement sur mon front. Un parfum familier. Le paradis de nouveau. Pourquoi faut-il qu'elle transforme tout en un soleil chassant les ténèbres? Un ange. Cette fois, ce n'est pas la mort qui m'attend. Cette fois, c'est son corps chaud et rassurant qui se glisse sous les couvertures près de moi. Ce sont ces bras qui m'enlacent tendrement, son torse contre mon dos. Cette fois, c'est sa respiration contre la mienne, sa poitrine qui se soulève tandis que j'essaye de claquer mon rythme de respiration avec le sien. Cette fois, c'est ma voix qui me berce, entrainant dans les bras de Morphée.

Mémoire perdue Où les histoires vivent. Découvrez maintenant