Mémoire perdue

Chapitre VIII

C'est un long couloir, décide Natasha en l'observant.

Elle se tient dans un long couloir blanc qui semble ne pas se terminer. La porte, les murs... tout est blanc et si elle est honnête, cela la rend nerveuse même si elle ne sait pas pourquoi. Elle n'a jamais aimé les hôpitaux et le couloir semble tout droit sorti d'un asile. Mais ce qui lui fait le plus peur, c'est qu'elle connaît cet endroit et qu'elle ne s'en souvient pas. Son cerveau lui dit qu'elle y est déjà allée mais pas un seul souvenir n'est accessible.

Ce n'est qu'un rêve, se répète-t-elle, juste un rêve.

Elle se met à errer, déterminée à trouver une issue.

La première porte qu'elle ouvre mène à ce qui semble être un dortoir. De simples lits en mauvais état sont alignés le long du mur, chacun avec une paire de menottes suspendues à la tête de lit. Elle repousse violemment l'envie de vomir qui lui brûle la gorge en les reconnaissant. La Red Room. Elles ne dormaient jamais sans être menottés. Chaque nuit, elles étaient enchaînées à leur lit et même si plus tard elles savaient comment en sortir en cinq secondes, aucune d'entre elles n'a jamais osé le faire. En sortant, elle ferme la porte et continue plus loin.

Elle pensait que ça ne pouvait pas être pire, oh mon Dieu, elle avait tort. Chaque porte qu'elle ouvre entraîne un autre mauvais souvenir, un autre fragment de ce qu'elle a vécu. Elle voit le tapis où elle a tué une camarade pour la première fois. Elle revit le moment où elle a tué un homme pour son diplôme. Elle sent l'électricité couler dans ses veines lorsqu'elle entre dans la salle de torture. Et plus elle avance, plus elle est effrayée. Ne sachant jamais ce qui se passera derrière la porte d'à côté.

Jusqu'à cette porte. Celle de trop. Elle l'ouvre, en tremblant légèrement et se retrouve face à... elle-même. Son jeune soi pour être précis. Elle ne doit pas avoir plus de quatorze ans. Elle est attachée à une table en métal, des capteurs sur sa poitrine et ses tempes. Elle se bat, essayant de se libérer. Mais ce n'est pas le pire, non. Le pire, c'est que Carol est là aussi, dans le même état qu'elle. Sauf qu'elle est inconsciente et pâle, si pâle. Sa peau délicate est couverte de sueur et de cicatrices. Une vague de colère furieuse trouble sa vision. Meurtre. C'est le seul mot qu'elle connaît pour l'instant. Elle a le goût du sang dans la bouche et elle veut tuer, tuer, tuer ceux qui ont mis son âme et son cœur dans cet état. Elle ouvre la bouche et...

« Laissez-la tranquille, bande d'énormes salauds ! » crie son jeune moi.

Elle se voit tirer si fort sur ses sangles que ses poignets deviennent violets. Un homme s'approche du côté de Carol et, par pur instinct, Natasha s'avance pour l'arrêter mais elle le traverse comme un fantôme et se heurte au mur opposé. Elle regarde, aussi impuissante que sa version jeune, l'homme lui planter une seringue dans le bras et Carol se remet à crier. Ses larmes transpercent l'âme de Natasha comme mille couteaux tranchants et chauffés à blanc, réduisent son cœur en poussière, écrasent sa poitrine en morceaux. Elle est livide - aussi livide que la jeune Nat elle suppose - alors que les cris de Carol se poursuivent encore et encore.

« ASSEZ ! » crie-t-elle, en mettant les mains sur les oreilles et en fermant les yeux.

Quand elle les rouvre, tout est parti. Pas de couloir, pas de salle de torture, pas de Carol. Elle est entourée de ténèbres.

« Tu as oublié »

Elle se retourne rapidement.

Carol.

L'adulte Carol est ici.

« Tu as oublié » répète-t-elle, en fixant Natasha.