Prologue

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Six ans plus tôt

Un caillou blanc vint déranger l'eau claire, un instant plus tôt quiète et transparente, maintenant troublée d'ondes en grands cercles gris. Une seconde pierre suivit, qui s'écrasa lourdement au fond de l'étang. Le garçon afficha une moue désappointée. Il grommela avec rage quelque chose sur la débilité humaine tout en lançant un grand coup de pied dans le vide.
Abandonnant là ses ricochets ratés, il ôta sa tunique et son pantalon. Le corps nerveux de l'adolescent disparut bientôt parmi les plantes aquatiques ; il s'enfonçait dans l'eau tiédie par le soleil d'été. Il sentit en plongeant dans l'étang la caresse étrange d'une truite sur son front. Il crut entendre un cri à la surface. Quelque chose tomba à l'eau près de lui. Affolé, il afficha à la surface un visage plaqué de cheveux mouillés.

- Eh bien ! Est ce que j'aurais interrompu ta retraite ?

L'insupportable petite fille qui depuis cinq jours le suivait, le nargua depuis la rive avant de s'enfuir avec les vêtements du garçon.
Celui-ci soupira et, nu comme un ver, se lança à sa poursuite. C'est qu'elle courait vite cette petite ! Agile et frêle elle se faufilait là où lui peinait à passer. Tout de même, plus grand et plus rapide il finit par la plaquer au sol en riant.

Elle le regardait avec cet air étrange de défi et d'admiration. Ils étaient semblables, enfant, adolescent, jetés sur les routes du Royaume depuis tant d'années qu'il leur semblait n'avoir vécu qu'ainsi.

- J'ai vu une métairie pas loin, il y a des bacs de légumes... Tu me suis ?

- Ça ne serait pas la première fois qu'on irait voler non ?

Ils partirent à travers les champs de blé blond. À voir comment ils se hâtaient, on eut dit un frère et sa petite soeur qui rentraient vers leur ferme... Les deux complices se dissimulèrent sous des buissons. Personne, pas même un chat pour les surveiller. Il ordonna à la petite fille de rester immobile, s'approcha prudemment, bourra discrètement ses poches de fruits et de légumes. Puis, la fillette fit de même, se faufila telle une musaraigne à travers la barrière. Les voilà bientôt, ni vus ni connus, cachés derrière les sapins noirs qui bordent la clairière.
Un galop retentit ; des cavaliers. Le garçon reconnut l'uniforme vert et or, les casques rutilants des Cadets. Effrayée, la fille fuit, mais lui demeura fasciné, captivé.

Ils lui semblaient beaux, grands, fiers, ces courageux soldats dont on ignorait toujours les vraies missions. La garde secrète, spéciale du roi.
L'un d'eux croisa le regard du garçon et dut y lire quelque chose de suspect puisqu'il lui fit signe d'approcher. Celui-ci hésita une seconde avant de prendre ses jambes à son cou. Il connaissait la forêt: il arriverait à les semer. Mais c'était là sous-estimer l'opiniâtreté du Cadet qui s'élança. L'adolescent sentait presque le souffle dans son dos du cheval de plus en plus proche. Il y eut une racine cachée au sol, sous les feuilles et il s'effondra de tout son long, le front dans la terre chaude aux senteurs rassurantes.

Le cavalier revint vers lui, dont les poches avaient déversé leur contenu dans sa chute et qui n'osait se redresser ou même lever les yeux. Le Cadet le remit debout d'un coup de bras.
C'était un jeune homme à qui l'on aurait pas donné plus de vingt ans, dont les épaulettes dorées brillaient sous la cape blanche, les yeux bleu horizon sous une frange de cils noirs.

- Tu les as volés n'est-ce pas ? Ramasse tout et suis moi.

Le garçon marcha avec lui vers la ferme. Dans la petite cour, il vit la vieille femme recevoir ses biens retrouvés, tomber aux genoux du Cadet en appelant sur lui toutes les bénédictions, et il ressentit alors sans pouvoir l'expliquer la grandeur de ce qui liait le Cadet au peuple dont il n'était qu'une partie, chargée de protéger le tout. À l'orée des bois, le reste de la troupe observait la scène, silhouette élancée de l'adolescent en haillons face au jeune cavalier en uniforme. Les deux regards se jaugaient, se défiaient comme en une joute d'enfants obstinés.

- Viens avec moi.

- Où ça ?

- Ici tu n'as pas d'avenir. Tu mérites plus de noblesse. J'ai vu de la rigueur dans ta voix. Viens, tu seras comme nous.

- Et qu'est ce que vous êtes vraiment ?

- Ce que nous sommes ? sourit le Cadet. Les premiers défenseurs et les derniers chevaliers...

Où est ta victoire ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant