Promotion Tanguy Raspail (I)

148 21 11
                                    

6 décembre 2...

Philoména

C'est incroyable, il fait beaucoup trop froid ! L'année dernière je me souviens qu'il faisait encore beau à cette époque ! Maintenant je suis obligée de sortir ma doudoune et mes grosses écharpes. J'en ai assez de ce temps d'hiver, de mes cours qui n'en finissent plus, du prince Jean qui n'était pas là ce soir ! Pourtant cela fait trois fois qu'il m'attend.

Cela dure à peine quelques minutes, lorsque je suis en retard j'ai le droit à ma petite phrase de reproche, bien vite dissipée par un sourire. C'est dans son caractère, il suffit de l'avoir compris. Étrange mais cela me plaît. En fait, je n'arrive plus à arrêter de penser à lui, d'imaginer ce qu'il pense de moi, de nous. Pourquoi me parle t'il ainsi ?

Lorsqu'il m'a regardée en face pour la première fois, après que j'ai relevé mon casque, dans ses yeux je ne me suis pas sentie transparente. Oserais-je dire que je me suis vue belle ?
Il m'a fixée différemment des autres garçons.
Les gens auxquels je parle de lui, innocemment, le jugent désagréable, impoli, insupportable. Sur internet, les interviews sont quasiment inexistantes au contraire des critiques qui y fleurissent. Tout y passe, de son crâne rasée il y a quelques années à cause d'un pari jusqu'à son timbre de voix inhabituel. Je doute que les trois quarts des gens qui parlent ainsi de lui se soient jamais donné la peine de le rencontrer.

J'aime qu'il soit différent des autres. Pourtant il est peut-être le moins beau des princes. Objectivement, comparé à Ladislaw et Godeffroi, il a bien moins de charme. Mais ses yeux... ses yeux resplendissent d'un bleu incroyable, aussi profonds, changeants, que notre mer Adriatique...

Je me tire enfin du canapé. Il est temps de préparer un dîner Philo !

Quelques pommes, des oignons, du fromage de chèvre et une pâte, saupoudrée de pignons de pin voilà une petite tarte d'hiver pour ce soir. J'allume la télévision en fond. Il est dix-neuf heures, le traditionnel moment des news. Tandis que la jolie présentatrice évoque successivement les récents décrets de Raoul IV, la grand-messe du premier dimanche de l'Avent, au milieu des critiques absurdes d'un journaliste étranger et gauchard, je reconnais le cri d'un ordre.

Garde à vous.

On parle de l'Adoubement des Cadets ! C'est donc celui de Jean. Et aussi d'Armel. Je me demande s'ils sont amis...

Sur l'écran apparaît la rangée impeccable des trente Cadets.

Promotion Tanguy Raspail.

- Votre Altesse Royale, pouvez vous nous parler de votre parrain ?

Incroyable c'est lui ! Je lâche mon four et ma vaisselle pour me précipiter sur un fauteuil. Il arbore un petit sourire en coin, mi gêné mi fier, qui découvre un peu des dents du bonheur.

- Le capitaine Raspail a été un des grands héros de la Restauration française. On pourrait croire que c'était un noble mais non. C'était un homme simple, un prolétaire du peuple qui avait gagné L'École par son seul mérite. Il en est sorti major de promotion pour aller sur le front français. Il a brillé plusieurs années par ses faits d'armes et un grand souci de la vie de ses hommes. C'est un républicain qui l'a assassiné lâchement au coin d'une rue. Il avait vingt-sept ans. Beaucoup l'avait surnommé "l'Archange" que ce soit parmi les républicains ou les légitimistes. C'est pour nous un magnifique modèle à partager avec tous les jeunes du Royaume.

- Très belle figure en effet mon Prince, murmure je en écoutant plus la réponse du journaliste.

Fait amusant, tandis que cet après midi avait lieu la répétition pour la cérémonie d'Adoubement, l'un des Cadets a rompu les rangs pour rattraper au vol la toque de la princesse Léonore. Elle était venu y assister ainsi que son frère le Prince Godeffroi et la Princesse Aurélie. L'attitude de la soeur du prince Jean s'est révélée pour le moins énigmatique. Il semble qu'elle l'ait remercié assez sèchement avant de tourner les talons...

Déjà la présentatrice passe à autre chose. Quelqu'un appelle. C'est la soeur d'Armel.

- Allô Philoména ? Tu es chez toi ?

- Oui pourquoi ?

- C'est mon idiot de frère ! Il vient de retrouver une place pour la cérémonie et le bal de ce soir... et j'ai pensé que ça t'intéresserait ! Il croyait qu'elle était perdue.

- Mais...

- Je sais c'est dans deux heures...

- Je vais essayer de trouver quelque chose ne t'inquiètes pas !

- Super, on passe te prendre dans une heure et quart alors ! À tout de suite ma belle.

C'est bien sûr que je ne viens pas de rêver ?

Mon Dieu, vous m'accordez toujours tant de choses que je ne mérite pas... Merci.

à suivre

Où est ta victoire ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant