Épilogue

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Je vais me battre. Toute ma vie je me suis battu. Pour défendre, pour conquérir quelques fois, toujours pour protéger. Protection d’un peuple qui fut la protection de mon âme. Me battre m'a sauvé.

Je suis né dans un village perdu aux confins du Royaume, parmi les sapins noirs et les champs de blé blond. De mon enfance, je n'ai retenu ni parent, ami ou contrainte. Mes sens conservent intact l’odeur des foins coupés, le goût acide des pommes chapardées le long des branches, le froid doux et amer de la neige de décembre. Je revois les cheveux fous, l'air enivré de soleil et de vie, les pieds tannés et nus du garçon que j'étais.
Je courrais les villages et les bois, comme un enfant perdu. Sans attaches et sans liens. Tous les jours, j’expérimentais la liberté. Il me semblait que les plus beaux rêves étaient ceux que je faisais blotti, invisible dans la paille des chariots de marchands et les plus belles victoires, celles remportées sur l'étrange monde des grandes personnes. Quelques fois, à la croisé des routes, j’apercevais l'uniforme vert et or des Cadets : leurs chevaux couleur de feu m’appelaient, j'étais fasciné par le métal sombre de leurs armes. J'ignorais leur mission. Des enfants m'avaient bien raconté qu'ils protégeaient le roi et défendaient notre Royaume. Jamais je n'osai leur parler. Ils m’impressionnaient trop.
J'avais quatorze ans, lorsque ma course prit un nouveau tournant. Une banale histoire de légumes volés dans une métairie. Ce n'était pas la première fois, mais ce jour là, ce fut un cadet qui m’arrêta. Il avait les cheveux courts, un sourire de vingt ans, des yeux bleu horizon et un col officier vert.
Ses phrases claquaient comme un drapeau sous le vent de novembre, dans un langage qui parlait de noblesse et de rigueur.
Je suis parti avec lui jusqu'à l’Ecole des Cadets. J'y suis resté.
Si la discipline rebutait parfois l'adolescent sauvage que j'étais, si échanger mes cheveux rebelles contre la coupe réglementaire me rendait furieux, je serrais les dents. Plutôt crever qu’avouer une faiblesse. Débuts difficiles mais dont les lendemains furent heureux. Peut-être même que mes plus clairs souvenirs sont là: courses interminables au fil des collines enneigées, présentation au drapeau genou en terre dans la nuit de septembre, travaux d'intérêt généraux rythmés de chants anciens, inflexibles et guerriers.
Moi qui n'avais comme idée des femmes que le sourire rêche de vieilles paysannes ou la folie joyeuse de la fillette sauvageonne avec qui j'avais partagé les bois, je découvris la beauté des jeunes filles en fleurs. La grâce des voix. La clarté des robes. La douce fragilité des corps.
Mon visage d’angelot sauvage plaisait aux rêveuses, l'uniforme et l'air grave des Cadets en imposaient aux plus énergiques. Les jeunes filles m'aimaient. Et mes vingts ans étaient bien partis pour perdre la tête si la tendresse n'y avait mis un peu de rigueur. Je connaissais la discipline de l'esprit et du corps, j'appris celle du coeur.

Je la rencontrai par hasard, comme on s'arrête pour observer une hirondelle  au bord du chemin alors que les camarades continuent de courir. Il faisait froid cette après midi là malgré le soleil qui avait brillé toute la matinée. Les jardins de l’Ecole semblaient ternes et gris. Le vent était glacé. Les bourrasques fouettaient nos corps au garde à vous. On répétait la cérémonie d’adoubement. Ce soir, la reine poserait sur nos épaules la vieille épée du premier chevalier.
Tandis que l'officier répétait les paroles de l'antique cérémonial, j’aperçus une silhouette vêtue de blanc, appuyée au mur qui empêchait de rien en distinguer fors son manteau brodé d'argent et sa toque d'hermine. Je ne reconnu pas d’abord ses traits mais un coup de vent fit voler sa fourrure, dévoilant une couronne de tresses rousses.
Je rompis le rang, courus derrière la toque blanche, la tendis à la princesse avec un grand salut. Elle me tourna le dos après un bref merci.
La corvée de balayage qui suivit ce petit acte de galanterie ne me fit pas regretter ma spontanéité.
Elle m'avait fait trouver ma femme.

Je ne sais pourquoi elle m'aimât, fille de roi et soeur unique de sept princes, qui aurait dû épouser un grand seigneur et non un cadet aux origines douteuses.
Je me souviens de ma surprise, de son air joyeux, lorsqu'elle vint vers sa belle-soeur et déclara:

Où est ta victoire ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant