Beauté insolente de leur jeunesse (II)

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Léonore

S’ils pouvaient avoir l’idée de rentrer ! Fumer par cette chaleur, presque en plein soleil et à deux heures de l’après-midi ! Ils sont fous ces cadets, ou alors l’émotion leur a fait perdre la notion de température, eux toujours à se plaindre de leurs uniformes en laine.

Mais l’attentat nous a fait perdre à tous quelque chose. Le sentiment de sécurité, de paix, qui nous enveloppait. Le Royaume n’est plus désormais calme et serein. En quelques coups de feu ont disparu l’insouciance de nos jeunesses. De la mienne en tous cas.
Jean n’a plus son air ébranlé qui m’a frappé sur le moment. Il est de ceux que le coup accable un instant mais qui se relèvent vite, plus fort, mais sans oublier. Comme Philoména.

Armel est près de nous, il parle avec Baldwin. Je ne peux pas l’en empêcher, après tout, c’est l’un de ses meilleurs amis.
Mais cette indiférence, cet égoïsme apparent me dégoutent. Je veux bien qu’il ne s’agisse que d’une façade et qu’après tout, cela fait cinq mois il a pu s’en remettre. Mais après ce qu’il lui a fait, jouer ainsi à prétendre qu’il ne s’est rien passé, c’est pathétique. Je le plains. Encore heureux qu’il ne se soit pas enfui avant hier, face au terroriste. J’avoue que le connaissant, je ne le choisirais pas comme garde du corps.

- Je rentre, tu me suis ?

Baldwin m’a vu transpirer à grosses gouttes, mais conscient qu’il est chargé d’Armel, me laisse revenir seule à l’intérieur. Je sais qu’il est en train de me suivre des yeux, la chaleur de son regard tendre se pose sur mon cou.
Rien à voir avec ces types dont vous sentez seulement un désir non dit sur vos jambes.
Remonter dans ma chambre ? Je risque d’interrompre Jean et Philoména. En même temps, les couloirs sont infestés de Cadets affalés sur les canapés anciens ou les banquettes ouvragées, préoccupés, cherchants désespérément un peu de fraîcheur, attendant les ordres de Raoul. Tous me saluent, je suis la princesse après tout et depuis peu, leur marraine officieuse de promotion, celle vers laquelle se tourner quand Jean ou Godeffroi ont échoués à obtenir quelque chose du roi. Ah ces Cadets, même sortis de l'École pour la reine est leur maîtresse, ils ont encore besoin des femmes !
Sans m’en rendre compte, je suis arrivée devant le bureau de Raoul.
Deux gardes, armés jusqu’aux dents, s’y tiennent fièrement.

- Sa Majestée reçoit le prince Jean, Votre Altesse, m’indique l’un d’eux.

- Merci mais je suis sûre qu’ils accepteront que je me joigne à eux.

Et sans plus de manières, je pousse doucement la porte et, sans me faire plus remarquer que cela, je viens m’adosser au mur derrière le roi.
Jean et Philoména se coupent sans cesse la parole, se corrigeant, se complétant, s’interrompant dans un joyeux vacarme. Ils parlent sérieusement et pourtant leurs visages trahissent un certain amusement. Il y a dans leur attitude une joie d’être ensemble. Allez, peut-être que je suis folle, mais je mettrais ma main à couper que ces deux là finiront ensemble.
Philoména me l’avait dit, avant Armel, elle préférait Jean. Mais il n’a pas bougé, a laissé son ami la lui prendre et la rendre folle amoureuse de lui, jusqu’à ce que leurs fiançailles fassent prendre conscience à mon frère du prix qu’elle avait à ses yeux. Du moins j’espère que cela s’est passé ainsi.
Oui, ils finiront ensemble. Ils l’ignorent encore mais je l’espère.

- Merci Mademoiselle, pour ces informations. Mon frère a eu raison de vous laisser m’en parler, remercie cérémonieusement Raoul.

Son air préoccupé ne l’a pas quitté depuis deux jours, depuis l’attentat.

- Est-ce que tu m’autorise à m’occuper personnellement de cette affaire et à tenir Philo au courant ?

Le roi hésite avant de l’y autoriser d’une voix ferme.

- Laissez moi s’il vous plaît maintenant, je dois réfléchir à tout cela.

Les deux sortent. Je reste un instant.

- Dis moi, cette fille n’a pas été fiancée à un ami de Jean ? Un des fils du comte de Pesaro non ?

- Bien observé mon frère.

Je me rapproche, me penche au bord de son bureau.

- On peut lui faire confiance ? Tu crois que ces informations sont fiables ? Pourquoi est-ce que ses fiançailles ont été rompues ?

- Arrête de te ronger les ongles mon roi ! Et oui, elle est fiable et de confiance. Crois moi, ça n’est pas à cause d’elle qu’il a rompu.

- Bien. Mais surveille la un peu. Je ne sais plus à qui l’on peut se fier dans ce Royaume…

Il a l’air las et les cernes lui mangent les yeux.
On toque à la porte.

- Qu’est-ce que c’est encore ! s’énerve t il.

J’essaie de l’apaiser en posant ma main sur son épaule tandis que Mère et Chiara se risquent dans la pièce. Elles lui feront bien plus de bien que moi.

Jean

- Voilà le bureau des services secrets. Ultra-protégé et ultra-confidentiel évidemment.

- Je vois ça, maintenant avec toutes les photos et les relevés d’empreintes qu’on m’a fait pour que je puisse entrer ici, vos services sauront bientôt tout de moi !

- T’as rien à cacher de toutes façons ?

Elle sourit à ce qui se voulait une blague pas très drôle pour détendre un peu cette ambiance pesante.

- J’ai l’impression d’être dans un film avec toutes ces lumières bleues et ces murs en béton. 

- Philoména, on est sur quelque chose de sérieux là, pas dans un James Bond !

- Votre Altesse Royale ? Philoména ?

On interrompt notre conciliabule.

- Allez Guy, tu peux m’appeler Jean quand même. Et tu connais Philoména évidemment.

Elle a l’air gênée, après tout c’est un bon ami d’Armel. Et je ne sais pas pour qui il a pris parti… Enfin, il est plutôt à l’aise.

- Je ne savais pas que tu travaillais dans les services secrets ? s’étonne elle.

- Par définition, ils sont secrets non ? sourit il.

- Bien vu, doit elle admettre.

- Bon on s’y met ?

Et nous le suivons, à travers le dédale des couloirs et des bureaux, sous la lumière bleue des néons, jusqu’à une petite salle.
Si je n’étais pas le prince, je me sentirais bête dans mon short alors que Guy et tous les autres sont en uniforme.
Ah ce Guy, une tête de plus que moi évidemment, plus beau, plus drôle aussi sûrement. C’est un bon gars mais parfois, je l’envie un peu. Et là, je lui envie surtout les sourires de Philoména. Je ne sais pas pourquoi, mais ils ont l’air assez proches.
Enfin Jean, pas de jalousie, ça ne te ressemble pas !

Où est ta victoire ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant