Le camp (II)

76 12 5
                                    

Isaac

Il y a quelque chose là-bas. C’est vivant, ça bouge. Tellement vivant que ça tient un fusil. Une attaque surprise, évidemment. Ils ont dû savoir que le roi est ici. Faut agir, et vite. 

- Ne dis rien, ne te retourne pas et suis moi, Arianna. 

- Mais ? 

- Fais ce que je te dis s’il te plaît. Viens. 

Ca y est, les sentinelles les ont vus. Il faut que je mette cette fille en sécurité à l’intérieur et que je prévienne les autres. Allez, le QG n’est plus qu’à quelques mètres. 

Une première balle, elle a sifflé à nos oreilles, vite. 

- Qu’est ce qui se passe Isaac ? 

- On est attaqués, tu vas te mettre ici et m’attendre d’accord. 

- Mais je dois veiller sur le roi ? 

- Faux, ici c’est nous qui veillons sur lui, pas toi. On est pas au palais. allez, reste là et ne te mets pas en danger c’est compris ? 

Ce sont des rafales de tir maintenant, il faut que je rejoigne les autres. C’est que, je l’embrasserai bien pour me donner un peu de courage, mais j’ai peur qu’elle le prenne mal… Tant pis, c’est pas le moment de réfléchir on verra plus tard. 

- Et tiens, prends ça. Mais ne t’en sers qu’en cas de besoin. 

Je lui lance mon pistolet automatique. J’en aurais pas forcément besoin normalement. Bon, elle est cachée dans un des préfabriqués, parfait. Maintenant les Cardamènes, à nous deux. J’aime pas vraiment qu’on interrompe mes rencards improvisés ! 

Tout le camp est en émoi, réveillé de la douce torpeur où la messe, le repas de Noël et la venue du roi avaient plongés les soldats. Les réflexes font surface à une vitesse impressionnante et le roi Ladislaw, qu’on tentait de mettre en sécurité, a énergiquement saisi une arme en proclamant qu’il se battrait aux côtés de ses hommes. Le camp était bien protégé et en réalité, les Cardamènes se sont aventurés là en mission-suicide. Si c’est tout de même une patrouille d’une quarantaine d’hommes, elle se trouve pour une grande majorité composée d’hommes expérimentés et seuls quelques fanatiques de chefs ont pris l’initiative de les faire attaquer. Ils n'avaient pas vraiment prévu de trouver en face d'eux un camp dont la forêt est certes un handicap mais aussi la meilleure des défenses, et des hommes résolus dont le capitaine s'est révélé depuis longtemps comme un chef admirable.
Beaucoup de balles volent mais peu atteignent leur cible et les soldats du Royaume, qui se battent comme des lions, prennent très rapidement le dessus. Il ne faut qu’une vingtaine de minutes pour que les armes et le courage des hommes mettent en fuite la patrouille trop téméraire. La technologie au secours des cœurs enflammés et lorsqu’enfin, le dernier drone confirme la sécurisation du camp et de la forêt alentour, une joie presque enfantine éclate. L’éclat, même humble, d’une victoire dore le coeur avec le regain d’un espoir auquel ils ne croyaient plus. Peut-être peut on vaincre ? Interrogation qui glisse entre les lèvres, d’une oreille à l’autre sans qu’on ose toujours la prononcer. 

- Combien de blessés ? questionne le roi qui n’a pas encore lâché son arme. 

- Très peu, et aucun n’est grave, assure le capitaine. 

- Ca faisait longtemps qu’on ne m’avait pas répondu ça, mon vieux, sourit Ladislaw. Et de bonne nouvelles sont toujours les bienvenues ! 

Au même moment, Arianna pointe le bout de son nez dans la pièce, inquiète pour lui mais lorsqu’il la rassure et qu’elle constate en effet la seule présence d’une légère égratignure au visage, dûe à un bris de verre, la jeune femme se détend mais insiste pour la désinfecter avec un peu d’alcool. Et le roi se laisse faire, amusé par la sollicitude des gestes qui contraste avec les reproches un peu doux qu’elle ne peut s’empêcher de lui adresser. Prendre tant de risques inutiles ! Mais non, veut-il expliquer, pas inutiles puisque tous ces hommes et ces femmes auront maintenant bien plus d’estime pour lui. 

- Mais toi, où étais tu pendant le temps de l’attaque ? J’ai cru te voir sortir juste avant le début. 

Arianna rougit un peu, bafouille et finit par avouer sa conversation avec le bel Isaac. 

- C’est donc lui qui a donné l’alerte ? Et qui t’a sauvé la vie ? 

- En quelque sorte oui, Altesse. 

- Fais le donc venir alors, ton héros. Je veux le remercier comme il se doit 

- Eh bien, ce serait avec plaisir mais on m’a dit qu’il était à l’infirmerie, intervient soudain le capitaine. 

- A l’infirmerie ? s’inquiète la jeune femme un peu malgré elle. 

- Rien de grave, venez allons y. 

En effet, c’est “seulement” doté d’une balle dans l’épaule et d’un immense bandage que le grand soldat accueille avec ébahissement son souverain et une bonne dizaine de ses camarades dans l’infirmerie. 

- Camarade, je crois que nous vous devons une fière chandelle. Que puis-je vous offrir pour vous remercier ? 

En un instant où se découvre l’âme attachée à la beauté du geste, Isaac se penche sur la main de son roi, dans un salut ancien et empreint de respect. 

- Sire, voilà ce que je demande. Qu’on me laisse, si on finit par sortir de cette guerre, dessiner autant que j’en ai envie. Pourquoi pas, faire des portraits de la famille royale ? 

- Eh, voilà une franchise qui me plaît ! Mais dites donc mon vieux, je vous ai déjà vu quelque part. 

- Eh bien Sire… c’est que j’étais aussi acteur avant tout ceci, glisse l’autre dans un regard pour Arianna.

Les rires des hommes, les rires des hommes volent et fleurissent jusqu’à la nuit, la jeune femme au milieu d’eux qui réveille les vieilles danses de son pays romain. Blanche blouse brodée et son col de fourrure, petit visage autour duquel s’enflamment des cheveux vénitiens comme autant d’étincelles. Elle est montée sur la table et, tandis que le roi frappe dans ses mains, repris par tous les autres, danse sous le regard pensif de l’artiste.
De sa main libre, sur la page jaunie, une Arianna légère se grave en traits bruns.
Muse d'une cause perdue dont le rire sonne encore, comme l'hallali du cor  qui rassemble les chasseurs, pour la dernière sortie et l'ultime étendard.

Où est ta victoire ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant