Menaces Fraternelles

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10 décembre 2...

Raoul

- Assieds toi Godeffroi, nous t'attendions. Le Conseil est au complet, nous ouvrons la séance. La parole est au Premier Conseiller.

Alfonso se lève, l'air assuré comme toujours. Je suis heureux de l'avoir nommé à mes côtés. C'est un ami précieux, j'ai su qu'il me servirait dès nos années d'études.

- Sire, je crois qu'il faut mettre à l'ordre du jour la question des Cadets. Pour le moment ils ont leur mois de permission mais dès janvier ils seront envoyés en mission ou en poste de commandement. C'est à vous qu'il revient de désigner la place de chacun Votre Majesté. Le Prince Godeffroi et moi avons élaboré des propositions que nous vous soumettrons. Mais je laisse la parole au Capitaine des Cadets, Son Altesse le prince Godeffroi.

Mon frère se lève.

- Aujourd'hui le seul problème qui se pose est celui de la loyauté de nos Cadets. Je veux croire qu'elle est absolument inébranlable mais certains pourraient avoir des liens avec des réfugiés cardamènes. Nous devons être vigilants pour ne pas mettre en danger la sécurité du Royaume. Les Cadets sont tout de même le corps d'élite de la nation, nous devons les faire servir à bon escient.

- Nous y avons déjà réfléchi, le coupé je. Mais toi Capitaine, que nous conseilles tu ?

Godeffroi lève la tête et propose avec assurance :

- Je connais, j'ai observé les trois Cadets concernés par nos soupçons. Ce qui m'inquiète le plus ça n'est pas tant leur loyauté que leurs familles, leur entourage. Nous leur avons appris la fidélité à leur roi mais aussi aux traditions, aux anciens. J'ai peur que les groupes cardamènes fanatiques n'utilisent cela pour les convertir de force et les convaincre contre nous. C'est une hypothèse peu probable mais qui n'est pas à négliger. On ne peut pas prendre ce risque. Je pense qu'il faut les placer à des postes où nous pourrons éprouver notre confiance en eux.

- Qu'en pensent les membres du Conseil ?

Ces dix hommes et femmes ont toujours des réactions si différentes sur certains sujets... Si je n'étais pas là pour trancher, j'aurais parfois l'impression d'assister à une bagarre de cour de récré. J'imagine que leurs démocraties ressemblaient à ça !

- Mesdames, Messieurs, votre roi vous le demande très simplement : levez la main si vous êtes d'accord avec la proposition du Prince Godeffroi.

Bon. Presque tous sont pour. La potentielle menace cardamène est toujours unificatrice et, de manière générale, lorsque le bien commun est en jeu, apparaît la force d'union de notre peuple.

- Sire, comment se fait-il que ces jeunes hommes, s'ils représentent un danger, soient toujours à l'École et que le prince Godeffroi lui-même ait présidé à leur adoubement...

Hedwige Marquant évidemment. Toujours là pour pointer du doigt ce qui fait mal.

- Oui Sire, je comprends la menace potentielle mais ce que propose le Capitaine, n'est-ce pas une forme pure et simple de surveillance, d'espionnage, d'intrusion dans la vie de ces hommes ? Ils ont juré un dévouement absolu à la Couronne, à Votre personne, ont suivi les quatre ans d'enseignement, ont reçu l'adoubement des mains mêmes de Votre épouse. N'est-ce pas suffisant pour qu'ils reçoivent votre confiance ? De ces trois Cadets, est-ce qu'il n'y a aucun auquel vous remettriez votre vie ?

Godeffroi hausse les épaules, agacé. On attend mon avis.

- Nous avons déjà étudié les dossiers de ces trois Cadets, nous nous sommes entretenu discrètement avec eux. Notre intention n'est ni de les espionner, ni de les ignorer. Nous ne prétendons pas les connaître mieux que toi, Godeffroi, qui les a suivi depuis le début. Algeste d'Alexandrie partira en mission avec le prince Jean qui le connaît très bien. S'il y a quoi que ce soit de soupçonneux, notre frère saura nous le signaler. Le deuxième, Joseph Éraïm, qui semble le plus vulnérable des trois à la propagande fanatique, nous l'enverrons au prince Ladislaw à Rome. Au coeur de la chrétienté, nous espérons qu'il sera renforcé dans sa foi et son amour du Royaume. Enfin, nous nommerons le dernier, Mattheus Théodoros, nouveau lieutenant de notre garde personnelle.

- Majesté ! me coupe sans gêne le conseiller de l'économie. Vous allez vraiment mettre votre vie en danger aussi inutilement ? Ça n'est pas raisonnable !

Je souris. Victor Alberto, je ne l'ai certes pas nommé pour son tact ou sa révérence, mais pour son génie d'intuition économique et financière. Papa avait déjà une grande confiance en lui mais :

- Vous oubliez à qui et de qui vous parlez. Comme Madame Marquant, nous croyons à la valeur du serment de ce Cadet, à son honneur de chevalier. Chers Conseillers, que sommes nous si nous n'avons pas l'intelligence de faire confiance à ceux qui nous ont juré fidélité ? Aux piliers de notre Royaume ? Et avant tout, souvenons nous que c'est la main de Dieu qui nous soutient.

Les sourires d'approbation ou les moues contrites accueillent ce discours.

- On nous a également soumis une autre proposition. Le major de la promotion Tanguy Raspail s'est fait le porte-parole de ses frères d'armes pour cela. Qu'une grande croix de Jérusalem soit cousue sur la cape blanche des Cadets adoubés, au niveau de l'épaule droite.

À tous les coups, Godeffroi va être déçu que ses Cadets ne lui en aient pas parlé d'abord... Parfois, ses relents de jalousie sont fatigants.

Je l'ai déjà nommé conseiller à vie, j'attends de voir s'il a l'envergure de faire un général en chef des armées, il va épouser une princesse ! Mon Dieu, que peut-il vouloir de plus ?

- Nous approuvons cette demande des Cadets. Qu'on fasse désormais apposer une croix noire selon leurs désirs.

Mon ton a été sans réplique. J'en ai assez de leurs débats pour aujourd'hui. La séance se passe. Affaires économiques relativement ennuyeuses. Je sais que c'est indispensable mais je m'y connais peu. L'expérience d'un homme comme Victor m'est nécessaire.

Qu'est-ce que Chiara peut bien être en train de faire en ce moment ? Rêver dans la campagne ? Ou alors peut-être plutôt du sport...

Enfin je lève la séance. Sur le chemin de mon bureau, mon frère me rattrape :

- Tu as tort d'agir comme ça Raoul.

- Godeffroi, est-ce que tu es mon petit frère soumis ou un conseiller rebelle ? Il serait temps de faire un choix. Systématiquement pour ou contre mes décisions ?

- Et imagine que Mattheus laisse faire un attentat contre toi ? s'énerve t'il.

- Et bien si je meurs tu n'auras plus qu'à espérer que Ladislaw soit aussi bête que moi et tu prendrais enfin notre place. Tu as l'air de tout savoir mieux que moi. Mieux que nous. Tu crois que l'idée m'est venue toute seule ? Ladislaw est de mon avis. Pour préserver la paix avec les Cardamènes, c'est le seul moyen, dis-je, criant presque.

Allons, que penserait Maman de tout ça ?

- Excuse moi. Mais aie confiance, pitié ! J'ai besoin de ton soutien inconditionnel en tant que frère et en tant que conseiller. Et si ça peut te consoler, pense qu'en te mariant tu auras sûrement quelque chose que je n'aurais jamais : des enfants.

Et je pars en riant de sa tête interloquée. Cela fait longtemps que j'ai cessé de jalouser les autres a ce sujet. Ma Chiara l'a dit, au jour du sacre j'ai gagné un enfant en chacun de mes sujets.

Une fois dans mon bureau, j'y trouve soigneusement posé un dossier vert sapin. Dessus une photo et un nom. Baldwin Théodoros.

Il a une bonne tête ce garçon. Comme pour Mattheus, son nom indique qu'il est né de parents inconnus... Je me souviens des débuts de Baldwin à l'École, Jean en parlait beaucoup. Une vraie tête de mule mais aussi un grand coeur.
Oui, il a une bonne tête. S'il y en a un dont il faut tester la détermination, la fidélité et le courage, c'est lui. Plus pour Léonore que pour la Couronne en fait.

L'ordre de mission rédigé par Godeffroi me va. Il a dû penser à la même chose que moi.

Coule la cire noire avant que ne s'y figé l'aigle en plein vol de mon sceau.

Où est ta victoire ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant