At Home

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13 novembre 2...

Chiara

Déjà une semaine depuis les funérailles, dix jours que mon beau-père est mort. Je sais, je sens que mon Raoul ne s'en remet pas. Il peut bien arborer ses sourires, ses mots d'esprit, je vois que quelque chose s'est enfui. Un peu de sa gaieté a laissé place à une sagesse nouvelle, teintée de profondeur.
Nous voilà revenus dans la capitale, à la villa Oriana, rue de Jérusalem, en attendant de nous installer au palais royal après le sacre.

J'aimerais rester ici. Cette maison de nos premières années de mariage, de notre joie, nos disputes et nos chagrins.

-C'est drôle à quel point je peux m'attacher aux lieux...

- Je sais, c'est une de tes nombreuses originalités ma chérie, s'amuse mon mari en baillant. Je pars pour le palais. Des modalités à régler pour le couronnement entre autres.

- Et notre déménagement ?

- J'y penserai mon amour, j'y penserai, ne t'inquiète pas !

Et il disparaît dans l'escalier.
Une nouvelle journée, seule ou quasiment. Sans une occupation plus trépidante que de répondre à une interview de mode. Ils me pèsent ces jours, à se sentir presque inutile. Descendant dans le patio, une cape de fourrure sur les épaules, je m'installe, un peu frissonnante, sur l'un des bancs.

Ma maison, richement colorée. Comme festonnée de motifs anciens. Peuplée des claires statues de ces hommes antiques, cheveux outrageusement bouclés, poses efféminées. J'aime ses faux marbres colorés, trompes l'oeil éclatants. Plafonds dorés dont la lumière attire les yeux au ciel, Vénus traînée de dauphins et de puttis.
Je rêve de ce qu'il était autrefois, demeure de rois depuis toujours. Palais à l'italienne, avec sa cour et son velum, arcades et passages décorés de fresques, fontaine bucolique au décor de rocaille. Tout est calme, doux. Je respire à la vitesse du Royaume, mélange de ville et de campagne.
Les oiseaux chantent sans mélancolie tandis qu'un premier rai de soleil se glisse sur les hauteurs des murs.
Tout est calme, je me contenterais d'être une servante qui passe et recueille en un instant la douceur du matin.

Je n'ai pas honte de ce que je suis, jamais. Au fond j'aime cette vie.

Allez Chiara, arrête donc de te plaindre, chanceuse que tu es !
Tout à l'heure, j'irai voir mon parrain. J'aime ses conseils insolites, décalés. Il sait trouver les mots justes.
La voiture est en bas. Olga, mon garde du corps ukrainienne, m'attend déjà à l'intérieur. Tandis que je rejoins le siège du conducteur, un journaliste surgit d'un coin de rue.

- Votre Altesse Royale ! Combien de temps encore resterez vous dans cette villa ? Avez vous peur de la cérémonie du sacre ? Que pensez vous de la situation des Cardamènes réfugiés ? Qu'en pense le prince Raoul ?

Je m'arrête, réponds avec un sourire :

- Nous déménagerons bientôt, rassurez vos lecteurs Monsieur ! Quand au sacre, je crois fermement que la grâce de Dieu nous soutiendra.

- Et les Cardamènes ? insiste t'il.

- Le prince vous donnera son avis lui-même croyez moi. Personnellement, je crois, à la suite de ce qu'affirmait feu le roi, que c'est d'abord la loi divine qui doit gouverner toutes nos actions en la matière.

- Nous vous remercions Majesté...

Et dans une révérence impeccable, le jeune homme aux flamboyantes mèches rousses, aux grandes lunettes rondes, se recule respectueusement. C'est généralement l'attitude des journalistes du Royaume, une déférence curieuse face à laquelle mon beau-père nous a appris à répondre simplement, intelligemment.

Où est ta victoire ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant