Au bord du précipice (III)

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Mais avant de quitter la chambre blanche, la jeune fille doucement s’approche du grand lit. Il flotte dans l’air quelque chose de doux, doux-amer un peu triste, comme un ancien parfum dont on se souviendrait par mégarde. Le goût sucré des amours éteintes qu’on ne rallumera jamais, étincelle d’un temps qui ne peut que s’enfuir. 

Les yeux bleus, les yeux bruns, les images fugitives d’un monde qu’ils sont seuls à connaître. Elle va sortir, dernier regard vers le prince de son coeur. Il ne la voit pas, penché sur son ami. 

- À plus tard, lance t elle. 

C’est étrange, son pas a l’air plus léger, quand dans son grand manteau elle descend l’escalier. On reconnaît Philoména, on salue la fiancée du prince et elle répond à tous, enfants et malades qui passent et lui sourient. 

Sa moto la ramène, avec le vent qui siffle sur son casque. Il est tard, presque le milieu de la nuit. Jean l’a prévenue qu’il resterait auprès de son ami. Elle traverse les rues, désertes. Devant la grille du palais, deux silhouettes avachies.

- Cyr ? Mais qu’est ce que ? 

Il soutient Léonore, à moitié endormie. 
Pas d’interrogatoire, bravement elle les ramène mais pas plus loin qu’un des salons. Un feu y meurt que Cyr ranime vaguement avant de s’effondrer. En pleurs sur un fauteuil pour tenter d’expliquer; la peine, la mort, le vide impossible. Dans les bras de Philoména, Léonore fond en larmes ivres. Ca n’a servi à rien, elle a honte, se déteste, ne se reconnaît plus et son amie tremblante la serre comme une enfant en chantant une berceuse. Il sera temps demain pour les explications. 

Voilà comme le matin les trouve, les deux filles endormies au coin du feu éteint, le prince entortillé dans un plaid en tweed. 

- Philo’, c’est moi. C’est Jean. 

Elle repousse ses cheveux, esquisse un sourire, frissonne un peu et voudrait l’embrasser mais il a reculé, furieux. 

- S’il te plaît, ne sois pas en colère. Ils sont sous le choc, ils sont perdus et je ne crois pas que ça soit à toi de t’en occuper. Ni à moi d’ailleurs. 

Le silence comme réponse tandis qu’arrive Baldwin, qu’il se penche vers sa femme. 

- Explique moi enfin ! Il est trop tôt pour deviner… 

- Mon ange, Armel est mort. 

D’abord, il n’y a pas de larmes, dans les yeux bruns, dans les yeux bleus. Leurs mains, leur front se rejoignent lentement. Le soleil qui se réveille enfin ne peut pas réchauffer le prince qui pleure son ami en sanglots pleins de rage, mais au plafond la fresque du Christ recueille avec lui le coeur de la jeune fille, brisé une troisième fois. 

- Il a dit quelque chose. Quelque chose pour toi, s’interrompt Jean. 

Le regard triste attend. 

Philoména, pardon. Je meurs et finalement, tu es la seule que j’aurais eu le temps d’aimer. 

 


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