Chapitre 1

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Il n'y a pas de "tout commença quand" ou "tout ceci est arrivé grâce à", non, il n'y a pas vraiment d'élément déclencheur.

Il y a en a plutôt des dizaines.

Des milliers.

Des centaines de milliers même.

Tout ça c'est grâce à vous.

Ou bien à cause de vous ?

Loin de moi l'idée de vous blâmer, mais si j'en suis arrivée ici, c'est parce que vous, mes followers, m'avaient fait perdre la tête.

Vous devez me connaître, surtout si vous lisez ces quelques lignes : je suis Marjorie, Instagrameuse de 18 ans, qui a atteint les 20 000 followers.

Dans notre monde actuel, 20 000 followers, ce n'est rien comparé aux millions que peuvent avoir les artistes tels qu'Eminem ou Pwedipie, mais 20 000 c'est toujours 20 000 de plus que zéro.

C'est surtout 20 000 étrangers qui me suivent quotidiennement, qui prennent de mes nouvelles comme si je leur avait parlé autour d'une bonne limonade, ou qui s'inquiètent quand je ne poste pas assez régulièrement. Ce sont des gens qui pense à toi quand toi tu ne connais même pas leurs existences.

Flippant, non ?

J'ai fini par m'habituer.

Le plus perturbant c'est que je ne suis pas spécialement plus douée qu'une autre, j'ai simplement décidé d'ouvrir un compte public sur Instagram.

Mon but ?

Faire mon intéressante.

J'en avais besoin à l'époque, je ne me sentais pas très bien dans ma peau, c'est généralement le cas lorsque l'adolescence est censée s'améliorer et non pas s'aggraver. Je rentrai en terminale, j'avais encore deux semaines de vacances devant moi et des milliards de questions dans la tête : mon choix de fac, mes possibilités de carrières, mon célibat pesant, mon tout petit groupe d'amis...

Plus j'y pense, plus ces préoccupations étaient futiles et ne justifiaient pas l'erreur que j'ai fait en ouvrant ce compte.

Mais je l'ai quand même fait, et avec un grand sourire en plus, le genre de sourire que je fais rarement : celui de la mesquinerie. Car au fond, je savais que mes parents me reprocheraient ce choix, que personne n'allait soudainement se mettre à me suivre et que mes post n'allaient certainement pas être d'une rigueur exemplaire.

On sait aujourd'hui que toutes ces suppositions étaient fausses.

Pour ce qui est des débuts, j'étais surtout à la recherche d'une identité. La fin des vacances approchait, je n'avais pas tellement envie de retourner au lycée, alors je me suis mise à partager dans un premier temps mon mood de la journée avec une photo de l'endroit où je me trouvais à l'instant où j'écrivais ce post. Pendant quatre jours, j'ai posté 8 photos, en ajoutant à chaque fois des détails, des #mood, et je me suis retrouvée à avoir plus de 100 followers dans ce laps de temps très court.

J'étais en joie.

Pourtant je n'aurai pas dû être aussi naïve, je ne comprenais pas bien encore les rouages d'Instagram, je l'avais eu trop tard, bien après tout le monde. Beaucoup de mises à jour étaient déjà passées et je semblais seulement apprendre le fonctionnement de l'application.

Si je revois mes post aujourd'hui, je suis certaine de voir des photos mal cadrées, mal éclairées et des textes sans queue ni tête. Inutile à souhait.

Et pourtant des gens se sont mis à me suivre : des gens que je ne connaissais pas, des gens parfois étrangers. Les chiffres étaient exorbitants pour moi, 350 followers en 2 semaines, à raison d'un post tous les deux jours.

Mais très vite, la rentrée est arrivée et j'ai dû laisser Instagram dans les placards pendant quelques jours, le temps de bien retrouver mes marques et mes deux amis.

Caroline - que vous connaissez déjà - et Matthieu, que je n'ai pas encore eu le temps de vous présenter mais ça viendra.

Le truc avec les réseaux sociaux c'est qu'on est jamais vraiment seul, à n'importe quelle heure de n'importe quel jour, quelqu'un peut être connecté et perdre son temps dessus.

Deuxième constatation d'Instagram : les gens tombent sur votre compte un peu par hasard, ils regardent rapidement votre feed, like et s'abonnent la plupart du temps. Dans le meilleur des cas, ils partagent même votre compte dans leurs story, et là c'est des abonnés à coup sûr. Ou tout au moins une augmentation du nombre de vues de votre compte.

C'est toujours bon pour les statistiques.

550 abonnés : 3 semaines de création.

Au bout d'un moment, j'ai pensé que mes publications n'étaient pas assez poussées, qu'elles ne me correspondaient pas assez. J'ai donc décidé de me lancer dans la vidéo, car Instagram propose de partager des vidéos d'une minute visible directement dans le feed des abonnés, ou bien de plus d'une minute mais il faut que les personnes tombants sur la vidéo fassent l'effort de cliquer dessus pour la continuer.

J'ai préféré opter pour des vidéos courtes au départ.

Ma spécialité ?

Le ukulélé.

J'enchaînais les vidéos où je jouais certains morceaux connus, d'autres de ma composition, toujours sans voir mon visage et toujours avec un nouveau décor. J'avais compris qu'Instagram était un lieu de beauté et non pas de bordel comme pouvait l'être ma chambre à l'époque encore.

Maintenant, si ma mère est heureuse pour quelque chose : c'est qu'Instagram m'a forcé à ranger ma chambre tous les jours.

Le ukulélé n'a pas spécialement bien marché selon mes plans, j'avais beau mettre des milliards de hashtags  je n'ai récolté que 50 followers en 1 semaine. J'ai pourtant posté 2 vidéos par jour, qui m'ont demandé pas mal de boulot pour la composition, l'éclairage et le montage final. Sans oublier les filtres, très importants.

J'ai été rapidement déçue et presque énervée contre moi-même d'avoir perdu autant de temps.

Mon ukulélé est désormais enfermé à double tour dans un placard, perdu au fond de ma chambre.

Je ne m'en suis pas rendue compte à ce moment là (car peut-être que je n'aurai jamais pris un tel chemin si je l'avais su) mais à cet instant précis, ce moment où je me suis sentie insatisfaite d'une vidéo parce qu'elle ne récoltait pas assez de followers...

Fut le moment où Instagram m'a tué.

Marjorie Lark n'existait plus : Marjorie l'Influenceuse l'avait remplacée.

Double Tap [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant