Chapitre 19 :

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"J'ai vu ta vidéo, sympa la complicité que tu as avec ce gars. Je n'ai pas trouvé d'informations sur lui, c'est un fantôme ou quoi ?"

Un tel message au réveil, ce n'est jamais plaisant.

Surtout venant d'un petit ami lui-même fantôme depuis plus d'une semaine.

"Contente que tu aies vu ma vidéo et d'avoir de tes nouvelles. C'est Matthieu, mon meilleur ami. Tu veux savoir autre chose, peut-être ?"

Je sais que mon ton, dans ma tête, est très sarcastique mais que l'effet voulu tombe à l'eau dans un message. Toutefois, l'absence de smiley et la présence de points indique que je ne suis pas spécialement d'humeur. La magie des nouveaux codes sociaux numériques permet implicitement de dire tout ce que je veux.

"On va organiser une grosse soirée le weekend prochain, ça serait sympa si tu pouvais venir ! Tu peux amener Matthieu aussi, ça me ferait plaisir de le rencontrer. Et même Caroline, si ça peut lui changer les idées."

Je lui avais raconté son histoire de harcèlement et à part me proposer de faire de la mauvaise pub pour Marc ou d'aller porter plainte, Rick ne m'a pas été d'une grande aide. L'invitation est pourtant une bonne idée, Naëlle me tanne pour que je l'aide à changer les idées de sa petite amie.

Malgré l'excès de colère de Matthieu l'autre jour et le fait que je retrouve encore aujourd'hui des morceaux d'écran dans ma chambre, Caroline ne semble pas se remettre des messages qu'elle a reçu quotidiennement. Ses parents ne sont pas au courant et elle n'a pas les moyens d'aller consulter un psychologue. Nous devons donc lui venir en aide avec nos petits moyens.

"C'est très gentil pour l'invitation ! Je vais leur en parler et je te tiens au courant."

J'allais conclure par un "à plus !" mais j'ai pour une fois envie que ce soit lui qui termine notre conversation.

"Prends soin de toi d'ici la fin de semaine et n'hésite pas à m'envoyer un message s'il se passe quoi que ce soit."

Bon. À ce moment là je regrette un peu d'avoir été sèche avec lui au début. Il est si mature ! Si adulte ! Il n'a pas pris en compte mon ton condescendant du début des messages et il s'inquiète pour moi.

Automatiquement, je me demande si Matthieu aurait réagis de la même manière.

Mes doigts se préparent pour lui répondre quand ma mère entre brusquement dans ma chambre, chose qu'elle ne fait jamais.

- Marjorie. Peux-tu m'expliquer le fait que nous venons de recevoir ton bulletin de notes pour ton bac blanc et que tu n'as pas la moyenne ?

Ses yeux sont rouges. A-t-elle pleuré ? En tout cas, elle fulmine, un pied dans ma chambre, l'autre dans le couloir. Je n'ai pas pour habitude de fermer mes volets pour dormir, alors l'éclairage est suffisant pour que je puisse apercevoir ses pupilles brillantes.

- J'ai pourtant révisé !

C'est la seule phrase qui me vient à l'esprit. Et c'est un mensonge en plus. Je n'ai pas révisé, non. J'étais à la convention la veille, j'ai traîné avec Rick la semaine précédente et j'ai surtout voulu améliorer mon feed pour que tout soit parfait avant la rencontre avec mes abonnés. J'ai dû réviser les jours où j'étais en cours et que les profs nous forçait à relire nos leçons. Sinon non, c'est clair : aucunes révisions personnelles en vue pour ce bac blanc.

Les résultats sont donc tout à fait logiques et mérités.

- Si ça avait été le vrai bac, tu ne serais même pas allée aux rattrapages. Tu te rends compte ? J'ai appelé les parents de Caroline, elle a eu 14/20 de moyenne. Sans parler de Matthieu, qui a frôlé les 17/20. Je ne comprends pas ce qui se passe avec toi. Avec ton père pourtant, on a constaté que tu étais beaucoup moins sur ton téléphone donc on ne peut pas blâmer les réseaux sociaux cette fois.

Je me retiens de pousser un soupir de soulagement, je n'aurai pas supporter de perdre à nouveau mon téléphone pour quelques jours de punition. Je vais atteindre les 75 000 abonnés dans quelques jours, ou quelques heures suivant ma motivation à poster une photo aujourd'hui. Le tout sans faire le moindre partenariat. En vérité, si je pouvais dire tout ça à ma mère, elle serait fière de moi.

- Nous allons donc te priver de sortie. Jusqu'à la fin de l'année. Tu ne pourras pas voir Antoine. Ton avenir est beaucoup plus important qu'une amourette.

Ma mère, ma gentille maman, qui me prive soudainement de sortie. Ça fait très mal, un poignard dans le dos presque, car elle sait pourtant que je n'ai jamais eu de petit ami avant Rick. Elle doit se rendre compte de l'effet qu'il me fait.

Elle prend certainement la meilleure décision pour moi mais je ne m'en rend compte qu'aujourd'hui.

Il est déjà trop tard.

J'ai envie de pleurer.

Je sais pourtant que ça ne changera rien.

- Maman...

- Ne discute pas. Ton père est très déçu et moi je suis attristée. Pour la peine, nous allons te demander de travailler avec nous. Pour une fois nous allons te rémunérer. Ça veut dire que tu vas gagner ton salaire à la fin du mois. On pense que tu n'as pas la notion d'argent, tu ne te rend pas compte de ce qu'il faut faire pour gagner de quoi s'acheter à manger ou même se faire plaisir. Il faut que tu comprennes ça, sinon tu ne seras jamais motivée pour avoir ton bac.

Pour une fois, je ne suis pas en colère. Tout ce qu'elle me dit est vrai : je suis une enfant pourrie gâtée. Pourtant je sais aussi qu'elle a tord et j'ai envie de la rassurer. Je repense aussi à la réaction de Rick par message : son calme et sa patience m'ont touché, j'aimerais faire preuve de la même maturité pour une fois.

- Maman... je suis désolée. Je comprends. Je vais faire des efforts, ne t'inquiète pas. Mais je voulais que tu saches : Rick m'a emmené dans un restaurant deux étoiles la dernière fois que je suis sortie avec lui. J'ai été très gênée, j'aurai préféré aller ailleurs. Alors non, je n'ai peut-être pas la maturité nécessaire pour tout comprendre mais rassure-toi : j'ai été bien élevée.

Ma mère se fige, je le vois dans ses yeux, son corps se tend, sa main sert un peu plus le papier. Ses yeux se ferment ensuite et elle inspire profondément. Sa colère est partie.

- Dépêche-toi de t'habiller, tu vas être en retard et pour un lundi, ce n'est pas la meilleure des choses.

Je lui souris. Elle pose mon bulletin sur le bord de mon lit et quitte ma chambre en silence, emportant avec elle la tension accumulée dans notre échange.

"Finalement, je ne vais pas pouvoir venir ce weekend. Mes parents m'ont privé de sortie jusqu'à nouvel ordre. J'ai eu des mauvaises notes au bac blanc, je le mérite un peu. Beaucoup même. Ça aurait été avec plaisir. Porte toi bien Rick et peut-être à bientôt."

J'ai le cœur qui tape contre mes tempes quand j'envoie ce message, mais c'était nécessaire. Il va comprendre, il va peut-être même vouloir venir directement au lycée pour que nous puissions quand même nous voir.

Je suis partie au lycée sans avoir de réponse, le téléphone muet comme une tombe.

Double Tap [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant