35. Esteban

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Le garçon serra les poings et fusilla son père du regard. Il en avait plus qu'assez. La vie de tout le monde n'avait aucune valeur à côté de la sienne. Même lui, son propre fils, il le considérait comme un insecte, un caillou sur sa route et celle de sa sœur.

    — Tout n'est toujours que question d'elle ! cria-t-il avec rage. Alors que personne ne l'aime !

    Son père le frappa avec force, le faisant tituber. Le garçon porta la main à sa joue rougie, au bord des larmes. Son père avait le regard froid et désintéressé. Comment pouvait-il être si cruel ?

    — Tout est question d'elle car elle seule est importante ! répondit-il sévèrement. Tu n'imagines pas les sacrifices que j'ai dus faire pour elle !

    — Et Daynis et moi dans tout ça ? pleura le garçon. Comment peux-tu nous détester à ce point ? Nous avons toujours fait tout ce que tu voulais sans broncher ! Et pourtant tu ne nous aimes pas ! Pourquoi ? Pourquoi avoir eu deux fils dans ce cas ? Pourquoi pourrir nos existences si tu ne voulais pas de nous ? 

    — Vous ne comptez pas, maugréa-t-il simplement. Tu as raison, je ne vous voulais pas, mais tu es là, et tu devrais t'en estimer heureux.

    Le garçon ferma les yeux, rageusement. En cet instant, il ne voulait qu'une chose : avoir assez de courage pour frapper son père comme lui le frappait. Mais il n'en avait pas la force. Il le détestait au plus haut point, c'était certain, mais il était bien trop peureux pour oser lever la main sur son géniteur. Au lieu de cela, il tourna les talons et quitta la pièce, la tête haute. Son père le laissa partir, il devait avoir bien plus important à faire que de gérer son fils de douze ans qu'il n'aimait même pas.

    Il passa devant sa mère qui, les larmes aux yeux, avait observé toute la scène sans jamais intervenir. Il s'arrêta et leva un regard froid vers elle. Elle semblait désolée et honteuse. Mais cela ne l'apitoya pas. Il avait l'habitude de ce regard. Sa mère était faible, incapable de tenir tête à son époux. Elle préférait le voir battre ses propres enfants plutôt que d'oser se dresser face à lui. 

    Le garçon non plus n'en avait pas toujours le courage, mais au moins, il défendait sa cause lorsqu'il le pouvait. Elle était sa mère, elle devrait être de son côté à chaque seconde. Et elle le savait très bien. Elle détourna la tête visiblement honteuse.

    — Pardonne-moi, murmura-t-elle d'une voix à peine audible.

    — Jamais, répondit-il stoïquement. Pas après toutes ces années de douleur. 

    Il vit sa mère retenir ses larmes mais n'y prêta pas attention. Elle était tout aussi coupable que son mari. Il quitta le salon pour de bon et vit une ombre s'enfuir sur sa gauche. Il fronça les sourcils et la suivit. 

    Il s'arrêta alors à un croisement. Caché derrière une colonne, il découvrit son petit frère, recroquevillé sur lui-même, le visage inondé de larmes. Il ne cessait de renifler et de s'essuyer ses yeux rougis. 

    — Hé Daynis, tout va bien, murmura l'aîné en le prenant dans ses bras. 

    Le petit garçon enfouit son visage trempé dans la chemise propre de son frère.

    — Tu vas partir Esteban ? renifla-t-il. J'en suis sûr, je t'ai déjà vu fixer le mur d'enceinte du château ou la grande porte. 

    Esteban soupira. Il y avait toujours songé et l'envie le titillait toujours plus à chaque minute passée dans ce château où la présence de son père n'arrangeait rien. Il ne supportait plus d'être dénigré au profit de sa sœur. Il haïssait son père et même sa mère, moins intensément. Il n'avait jamais parlé à sa sœur plus de deux fois et ne l'aimait pas non plus. La seule personne dans ce château à qui il tenait vraiment, c'était son petit frère. Le seul qui le comprenne, étant dans la même situation. 

La Légende d'AédéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant