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Il y a ce goût étrange dans ma bouche. C'est amer, ça pique, j'ai envie de vomir. Ça doit être le goût de la peur. Je n'arrive plus à différencier la pluie qui s'abat sur mes joues des larmes qui coulent. Je ne sais plus quoi faire à part courir, encore et encore.

Le vent froid d'octobre caresse ma peau et me fait frissonner. Je ne sais pas où je vais. L'orage fait bourdonner mes oreilles et me donne mal à la tête. J'ai le tournis. Je cours dans tous les sens. Les passants qui s'activent pour échapper la météo me dévisagent tous comme une bête curieuse. Mes cheveux mouillés dégoulinent sur mes épaules. La nuit est aussi noire que mes idées. Je déambule au milieu d'une ville que je ne reconnais plus. La pluie s'énerve.

J'avance là où mes jambes me mènent, mon cerveau s'est éteint, tout comme mon coeur qui ne ressent plus rien. Je vois flou, j'ai la tête qui tourne, j'ai du mal à respirer. J'ai l'impression de n'être plus maîtresse de mon propre corps. Des dizaines de souvenirs tournent en boucle dans ma tête et me donne la migraine. Mes jambes se font de plus en plus faibles.

De moins en moins d'air atteint mes poumons. J'aurais pu éviter tout ça. J'aurais dû éviter tout ça. Un jeune homme me fixe de son regard gris, un éclair traverse le ciel puis le tonnerre se fait entendre à nouveau.

Je toque contre la porte en bois devant moi et prend une profonde inspiration. Je sens les battements de mon coeur s'accélérer, ma respiration se coupe et tout devient flou autour de moi. Une petite blonde m'ouvre la porte et je m'écroule dans ses bras.

« Alexie ? s'étonne-t-elle.

Mes yeux s'ouvrent doucement mais ma tête continue de tourner.

— Alexie, qu'est-ce que tu fais ici ?

Elle attrape mon visage entre ses mains et son regard capte le mien.

— Alexie, qu'est-ce qu'il se passe ?

Je ne sais plus si c'est mes larmes qui troublent ma vue ou simplement mon cerveau qui a décidé de s'éteindre. Ma bouche s'entrouvre mais aucun son n'en sort. J'ai du mal à respirer. Olivia passe sa main dans la mienne et m'entraîne dans son salon. Tout le monde se retourne vers moi en même temps et leurs yeux s'écarquillent un à un.

— Alexie ?

Ils se lèvent tous et me prennent dans leurs bras sans que je ne bouge. J'ai mal à la tête. J'ai envie de vomir. Je me laisse tomber sur le canapé et repose ma tête dans mes mains et me frotte le visage. Qu'est-ce que je fous là ?

— Alexie ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Je relève la tête vers eux. Yassine me regarde, un sourire bête sur le visage. Samia a l'air perplexe. Marco paraît interrogateur et Olivia fronce les sourcils. Tous mes souvenirs reviennent taper dans ma tête. Qu'est-ce qu'on était bien, à l'époque.

— Alexie ?

Mon regard se perd entre le sol et me doigts qui se battent entre eux. Mes cheveux dégoulinent sur mes genoux. Des traces noires parcourent mes joues.

— Je suis partie, murmuré-je, à bout de souffle.

C'est la réalité. Et je ne le réalise que maintenant. Je suis partie. Je suis enfin partie. Après trois ans. Je suis partie.

— Je suis partie, putain, répété-je alors que tout le monde me dévisage.

— Alex, qu'est-ce que tu racontes ?

Je lève les yeux vers Yassine, installé en face de moi.

— Je suis partie.

Olivia pousse un soupir.

— Écoute, Alexie... T'es incroyable, s'agace-t-elle, tu ne nous a pas adressés la parole depuis plus de deux ans, tu débarques maintenant, sans prévenir, sans dire bonjour, sans donner d'explication et tu t'attends à ce qu'on comprenne tout quand tu nous dis « je suis partie » ?

Ma poitrine se compresse. Ma tête se fait lourde.

— Olivia, tu sais très bien ce qu'il se passait avec lui.. Ce soir, il est sorti et... Je suis partie.

Leurs visages se tendent, leurs sourcils se froncent, leurs lèvre s'entrouvrent.

— Tu veux dire que...

— Pendant tout ce temps...

— T'étais avec lui ?

Je déglutis. S'ils savaient... Je hoche doucement la tête et mes yeux ne parviennent pas à quitter le sol et à les affronter.

— Putain, Alexie, qu'est-ce qu'il t'a fait ?

Mes yeux se remplissent de larmes dès que les flash-backs s'affolent dans ma tête. Je ne sais pas s'il y a une seule partie de mon corps qu'il n'a pas blessé.

—R-Rien. Il ne m'a rien fait.

Olivia lève ses yeux verts vers moi et esquisse un sourire.

— Alex, je suis désolée d'avoir réagi de cette façon... Je... J'ai cru que... Enfin, je pensais que... Je croyais que tu l'avais quitté depuis longtemps.

J'essuie une larme de ma pommette avec le revers de ma main. Rien de tout ça ne serait arrivé si je les avais écoutés. J'aurais dû partir il y a bien longtemps.

— Alex, tu sais quoi ? Tu vas passer la nuit ici, propose Marco.

Je fronce les sourcils et secoue la tête.

— Quoi ? Non, je ne peux pas, je dois...

Samia passe son bras autour de mon épaule.

— Alexie, tu n'as nulle part où aller. Tu ne vas pas débarquer chez ta mère à cette heure-ci. Alors, passe la nuit ici.

Je dépose ma tête sur son épaule, comme elle le faisait quand elle pleurait à cause d'un garçon, au lycée.

Olivia l'a très bien dit. Ça fait deux ans que je ne vous ai pas parlé. Je ne mérite pas votre aide, chuchoté-je, épuisée.

— Je ne le pensais pas, Alex, souffle la jeune blonde.

Marco se lève pour venir s'asseoir à mes côtés et pose une main sur mon genou.

— Même si ça faisait dix ans qu'on ne s'était pas parlé, on t'aurait aidé. On réfléchira à la suite demain.

Yassine m'adresse un de ces grands sourires dont il a le secret.

— Alex, tu vas dormir ici. Mon coloc ne va pas rentrer avant demain matin, j'ai une chambre de libre.

— Je sais pas...

— C'était pas une question, Alex, ajoute Samia, et puis... Ça nous rappellera le bon vieux temps !

Je passe une main sur mon visage en tentant de me remettre les idées en place.

— Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais faire ? m'affolé-je, alors que ma respiration commence à s'accélérer.

L'angoisse prend possession de mon corps et je sens mon coeur se soulever.

— Alexie, tu devrais vraiment aller te reposer, me conseille Olivia.

— Mais...

Yassine plonge son regard dans le mien et sourit.

— Alex, il faut que tu dormes. On s'inquiétera demain.

Une petite larme perle devant mon oeil et vient couler le long de ma joue. Ils me regardent tous, de la pitié plein les yeux. Comment ai-je pu être aussi bête ? Peut-être qu'en réalité, c'est lui qui a raison depuis le début. Je n'aurais jamais dû partir. Je n'aurais jamais dû tenter de jouer les héroïnes. J'aurais dû rester là-bas et ne jamais revenir. Peut-être que c'est ça le bonheur. Après tout, qu'est-ce que j'en sais, moi ?

loving can hurt | tome unOù les histoires vivent. Découvrez maintenant