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12 ANS PLUS TÔT :

J'ai la tête qui tourne. Je suis tapi au fond de mon petit lit. Je n'arrive pas à m'endormir. J'entends du bruit en bas, comme d'habitude.

Pendant quelques minutes, je me bouche les oreilles. J'essaie de me chanter une chanson. J'essaie de penser à autre chose. J'essaie de m'imaginer autre part. Peut-être sur une île déserte, dans le calme. Ou en haut d'une montagne, dans le silence.

Quelques minutes plus tard, je prends une profonde inspiration. Je retire mes mains dans mes oreilles et, dans les bruits étouffés par les murs, j'entends mon prénom. Ils parlent de moi.

J'entends quelque chose tomber, un cri, du verre qui se brise contre le sol.

Je retire la fine couverture qui recouvre mon corps et glisse sur le matelas pour que mes pieds atteignent le sol. J'avance à petit pas vers ma porte et appuie sur la poignée.

Je descends doucement les escaliers et m'assoit sur les marches. Les battements de mon coeur s'accélèrent de plus en plus. J'ai du mal à respirer. Mon ventre se tord quand j'entends une nouvelle fois mon prénom dans sa bouche.

— Bordel, on doit le laisser, ton Noah ! On peut pas s'occuper de lui ! s'écrie-t-il de sa voix grave.

J'entends des sanglots et un bruit sourd.

— On peut pas le laisser ! C'est notre fils !

Il rit d'un rire faux, mauvais, vide.

— C'est pas ton fils, putain ! Il a pas de parents, ce gamin !

— Si, c'est notre enf...

Elle n'a pas le temps de finir sa phrase. J'entends sa main frapper sa peau. Elle tombe.

— Arrête ! Arrête !

J'ai le tournis. Tout est flou autour de moi. Je n'entends que les cris, les coups, les insultes. Elle le frappe, elle aussi, elle se défend comme elle peut. Mais le bleu que j'ai vu sur son genou il y a quelques jours me prouve qu'elle souffre bien plus que lui.

Je n'en peux plus. J'ai envie d'agir. J'ai besoin de le raisonner, de la sauver. Je sais qu'il a bu, ils boivent tout le temps. Mais elle ne mérite pas ça. Personne ne mérite ça. C'est ma faute si elle se prend des coups, là maintenant. C'est moi qu'il veut abandonner, qu'il veut faire retourner au foyer. C'est de ma faute s'il lui fait du mal. C'est toujours de ma faute.

Il faut que j'y aille. Il faut que je l'aide. Il faut que je la défende. Quand je me bats à l'école, je gagne à chaque fois. Peut-être que j'y arriverais contre lui aussi.

Je descends rapidement les escaliers et entre dans le salon.

Ses yeux verts croisent les miens. Les yeux de ma mère, de la seule mère que j'aurais jamais. Elle m'oublie à l'école, souvent. Et elle sent l'alcool, parfois. Mais je crois qu'elle m'aime. Et c'est bien la seule. Ce sera toujours la seule.

Son regard croise le mien et, sans m'avoir vu, il lève son poing qui vient cogner sa mâchoire. Elle ferme les yeux. Elle tombe à la renverse. Sa tête tape contre le coin de la table basse. Son corps s'allonge sur le sol. On dirait qu'elle s'endort.

Je m'approche d'elle et tourne la tête vers lui qui écarquille les yeux en passant sa main sur sa bouche, à bout de souffle.

— Putain, qu'est-ce que j'ai fait, murmure-t-il.

Elle a les yeux fermés. Il y a du sang qui se met à s'écouler derrière sa tête. Je m'accroupis à côté d'elle mais elle ne me voit pas. Elle ne se réveille pas.

loving can hurt | tome unOù les histoires vivent. Découvrez maintenant