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— Si je suis pas allé voir mes parents... C'est juste parce que j'en ai pas, murmuré-je en fixant mon regard sur le sol.

Elle se redresse légèrement pour mieux me voir et fronce les sourcils.

— Comment ça ?

Je me mords la lèvre pour essayer d'empêcher cette putain de larme de couler mais Alexie passe doucement sa main sur mon épaule, l'air inquiet, et je n'arrive pas à me retenir.

— J'ai été abandonné dès ma naissance. J'imagine que mes parents biologiques voulaient pas de moi, j'étais pas assez bien pour eux...

— Noah, murmure-t-elle.

Je serre les dents pour tenter de contenir mes émotions. Je ne sais pas si je devrais tout lui raconter. Est-ce qu'elle comprendrait ? Je n'ai pas le temps d'y réfléchir. J'ai besoin d'en parler.

— J'ai été placé en foyer et j'y suis resté pendant neuf ans avant qu'une famille ne veuille enfin de moi. C'était un couple. J'ai jamais compris pourquoi on m'avait confié à eux. Les gérants du foyer ne voulaient pas de moi non plus, apparemment. Alors ils m'ont laissé avec ce couple qui s'occupait encore moins de moi...

Alexie lève deux yeux désolés vers moi et passe sa main dans la mienne, m'encourageant à continuer. Il y a un noeud qui s'installe dans ma gorge et je n'arrive plus qu'à chuchoter mon histoire. Peut-être parce que j'ai peur de l'assumer, peut-être parce que c'est la première fois que j'ose en parler, peut-être parce que, pour la première fois, je me laisse être vulnérable.

— Ils arrêtaient pas de boire. Et ils arrêtaient pas de se disputer. Tous les soirs, ils criaient. Que je sois là ou pas, ils criaient. Et il la frappait. Je suis resté trois ans avec eux, jusqu'à ce que... Jusqu'à ce que...

Je n'arrive pas à terminer ma phrase tant la boule dans ma gorge bloque tout. Je sens mon coeur se serrer et mes poumons se vider. J'ai du mal à respirer. Tout ce que j'ai toujours voulu éviter revient d'un coup sec. Mais mon histoire continue de tomber de mes lèvres sans que je puisse l'arrêter. J'ai besoin d'en parler.

— Au début, je me cachais, je me bouchais les oreilles, je me persuadais que j'étais autre part... Et puis, j'ai grandi. Quand, je me battais dans la cour de récré, je gagnais à chaque fois. Alors je pensais que je pouvais faire quelque chose contre lui. Que je pouvais le battre. Que je pouvais la protéger... Et quand je n'avais pas le courage de le faire et qu'elle souffrait à cause de moi... Je savais pas si je devais m'en vouloir à moi ou à lui...

— Noah, t'étais un enfant, tu pouvais rien faire...

Je secoue la tête. Il y a un goût métallique dans ma bouche. J'ai envie de vomir en pensant à la suite, en revoyant cette image qui ne me quittera jamais.

— J'aurais pu... J'aurais dû. Un soir... j'avais école le lendemain. Je devais aller en sortie avec ma classe. Alors j'arrivais pas à m'endormir. Il y avait du bruit dans la cuisine, des cris, des coups... Je sais pas pourquoi, cette fois-ci, je me suis levé. Et je suis descendu. Je voulais lui dire d'arrêter, qu'elle ne méritait pas ça. Ils se disputaient à propos de moi. Il voulait m'abandonner et elle ne voulait pas me laisser. Je suis entré dans la cuisine et j'ai... J'ai juste eu le temps de croiser son regard une dernière fois...

Je tourne la tête vers Alexie qui a les yeux brillants. Cette image, cette affreuse image que j'évite la journée mais qui s'inscrit dans mon esprit toutes les nuits... Elle s'invite dans mon crâne et me donne envie de tout casser autour de moi.

Je n'arrive plus qu'à aller chercher les mots au fond de ma gorge. Ils ne veulent pas sortir. Ils ne veulent pas que quelqu'un sache.

— Il lui a donné un coup dans la mâchoire. Elle est tombée. Sa tête a cogné contre le coin de la table... Il y avait du sang partout. J'ai avancé vers elle, j'ai essayé de la réveiller mais... Elle était plus là. J'avais du sang sur les mains, il y en avait sur le sol, sur la table... Partout, il y en avait partout.

loving can hurt | tome unOù les histoires vivent. Découvrez maintenant