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Quelques minutes plus tard, Noah stoppe sa voiture près de l'entrée du parc. Je sors du véhicule et avance pour me poser sur le capot, fixant du regard l'aire de jeu où mon père m'emmenait tout le temps.

Une boule se coince ma gorge et me donne mal au ventre. Noah s'installe à côté de moi et je sens ses yeux se poser sur moi mais je n'ai pas la force d'affronter son regard. Des souvenirs me remplissent l'esprit et me donnent les larmes aux yeux. J'ai besoin de me recueillir, juste un moment.

Mon père et moi étions très proches, avant. Et nous passions beaucoup de temps dans ce parc. Rien que tous les deux. Parfois, on passait la soirée ici, allongés dans l'herbe. Il me parlait de son enfance, de ses rêves, de ses espoirs. Je lui racontais tout ce que je voulais faire dans ma vie, quand je serais grande. Et il me disait que, si j'y croyais, j'étais capable de tout.

Il m'a appris à danser quand j'avais sept ans. Il me faisait monter sur ses pieds et me faisait valser à travers le salon, sous le regard amusé de mon frère alors que ma mère s'occupait de ma petite sœur.

Il jouait avec moi dès que Yassine ou Olivia n'étaient pas disponibles. On passait des après-midis entières à jouer au ballon dans le jardin. Ou dans ce parc. Il y avait un petit lac avec quelques canards et, de temps en temps, on allait les nourrir. D'ailleurs, c'est à côté de ce même lac qu'on avait pique-niqué pour fêter mes six ans.

Je lui faisais tellement confiance. C'était mon meilleur ami, mon confident, le seul qui me comprenais réellement. Il prenait toujours ma défense face à ma mère ou mon frère. Il était toujours là pour moi.

— Ça va ? me demande Noah.

Je hausse les épaules, en fixant ce parc dans lequel je verrais presque s'animer le souvenir de mon père.

— Je sais pas, chuchoté-je, à bout de voix.

Il relève la tête et approche sa main de la mienne, son doigt frôlant le mien.

— Tu devrais regarder les étoiles, ça fait du bien des fois, murmure-t-il doucement, pour ne pas me brusquer.

Je tourne la tête vers lui alors que ses yeux se concentrent sur le ciel parsemé d'étoiles brillantes de qui la lune semble être la reine.

J'ai alors le temps de l'observer, quelques secondes. Le clair de lune se reflète dans ses cheveux bruns en bataille, sa mâchoire habituellement serrée est détendue et, de profil, je peux admirer la longueur de ses cils. Pour la première fois, je remarque à quel point il est beau. Pas étonnant que toutes les clientes et certains clients du café passent leur temps à le regarder et à le draguer.

Avant qu'il ne me surprenne, je lève la tête vers le ciel, moi aussi, et admire ce spectacle qui s'offre à nous.

Nous passons quelques secondes dans le silence complet. Je m'apaise petit à petit, les larmes arrêtent de couler et la boule dans ma gorge se dissipe doucement.

— Mon père est mort, dis-je d'un coup, sans réfléchir.

Mais ça fait du bien de le sortir. Un poids se retire de ma poitrine mais deux autres le remplacent.

Le poids de la réalité, d'abord. Je l'ai dit, ça y'est. Cela rend toute cette histoire réelle, vraie. Et ça me fend le coeur. J'ai mal, tellement mal. Je ne l'ai pas vu depuis deux ans et, au final, je ne le reverrais jamais. Peut-être que, au moins, ça sera plus simple de tourner la page.

Le poids de la culpabilité prend ensuite place. Je sais que c'est de ma faute, ma mère me l'a bien fait comprendre. Mon départ l'a tué. Ils ont appris qu'il était malade presque deux mois après avoir coupé les ponts avec moi. Et il n'a pas voulu se battre, à cause de moi et de tout le malheur que j'ai entrainé.

Jusqu'à la dernière minute, il était certain que j'allais venir lui dire au revoir. Mais rien. Il est parti sans que je ne puisse être mise au courant. Sans que je sois là.

C'était le seul à croire en moi et à ma capacité à me sauver. Tu avais raison, Papa, j'ai réussi.

— Depuis combien de temps ?

Les larmes se remettent à m'attaquer et j'ai du mal à retenir mes sanglots.

— Un an et demi, murmuré-je en essuyant mes joues.

Il baisse les yeux.

— Je suis désolé.

— Moi aussi, soufflé-je.

Un silence de plomb s'installe à nouveau entre nous. J'aimerais qu'il parle, qu'il me console, qu'il me prenne dans ses bras et qu'il m'apaise. Mais il ne fait rien de cela. Il fixe simplement les étoiles, l'air soucieux.

— Tu sais quoi ?

Je tourne la tête vers lui.

— Quoi ?

Je suis à bout de force, je n'arrive même pas à répondre à pleine voix. Seule ma voix brisée et nouée par les sanglots parvient à sortir.

— Je pense que, à chaque fois qu'une personne meurt, elle rejoint le ciel et il y a une étoile qui s'ajoute. C'est pour ça qu'il y en a autant. Ton père est là-haut, parmi elles. Son âme y est montée. Tu as juste à prendre un peu de temps, et à chercher son étoile. Quand tu la verras, ça sera évident. Parce qu'elle brille encore plus pour toi. Tu étais la chose la plus importante à ses yeux et il veille sur toi. Alors si tu regardes bien, il y a une étoile que tu vas voir briller plus que les autres. Elle brille rien que pour toi. C'est lui, qui veille sur toi.

Je pose ma tête sur mon épaule, en cherchant mon père à travers tous ces points brillants.

— Ton père est parti, oui. Mais ce n'est qu'une question de temps. Il doit juste t'attendre. Tu as une vie à vivre, tu le rejoindras bien assez tôt. Il t'attendra pendant cette vie et, quand ce sera à ton tour de monter aux cieux, tu auras plein de choses à lui raconter. Pour l'instant, tu peux pas encore lui raconter toutes les magnifiques choses que tu vas vivre parce que tu les as pas encore vécus. Vis ta vie, Alexie. Tu dois juste attendre un peu avant de le revoir. Mais tu le reverras un jour, j'en suis sûr. On se reverra tous un jour.

Je lève les yeux vers lui, fascinée par sa façon de voir les choses et soudainement retrouvant un peu d'espoir.

— Quoi ? interroge Noah, me faisant remarquer que je le regarde depuis un petit moment.

Avec la lune se reflétant dans son regard, ses yeux habituellement bruns paraissent gris. Cela me rappelle la nuit où je suis arrivée.

Je me souviens de peu de choses tant j'étais dans un état second. Mais je ne sais pas pourquoi, je me souviens de ces yeux gris que j'ai croisé avant d'atteindre l'immeuble. Nos regards se sont croisés. Puis il y a eu un éclair, et le tonnerre.

— Rien, c'est juste que... Quand je suis arrivée chez Olivia, j'ai croisé le regard d'un garçon qui avait les mêmes yeux que toi. Je sais pas pourquoi, ça m'a marqué. Et puis, il y a eu un éclair dans le ciel et du tonnerre.

— Et, moi, j'avais croisé le regard d'une fille qui courait sous la pluie, complètement perdue. Et puis, il y a eu un éclair dans le ciel et du tonnerre.

*****

holà ! j'espère que tout va bien pour vous !

j'espère vraiment que ce chapitre vous a plu, il est très important pour moi :)

je vous poste la suite mercredi, qui clôturera cette soirée de noël !

prenez soin de vous, bisous 💕

loving can hurt | tome unOù les histoires vivent. Découvrez maintenant