1. Routine

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  • Dédié à chaton
                                    

Une main échappa les couvertures, rentrant en contact avec l'air froid de la pièce. Ses poils se hérissèrent et elle attrapa le paquet rectangulaire posé à même le sol, tout comme le matelas qui faisait office de lit. Elle se redressa en prenant appui sur son coude et s'assis convenablement. Elle n'avait pas envie de se lever. Elle n'avait aucune raison de le faire.

Elle glissa une cigarette entre ses lèvres et craqua une allumette. Le tabac roulé commença à se consumer entre ses doigts et elle tira longuement dessus, laissant la nicotine envahir son corps, une fois de plus. La première taffe de la journée était toujours la meilleure.

Elle décida finalement de se lever, puisqu'ici, dans son lit, elle s'ennuyait plus qu'autre chose. Elle se traîna jusqu'à sa cuisine, sans entrain, en évitant les diverses choses qui encombraient tout son appartement. Depuis quand n'avait-elle pas ranger ? Bien trop longtemps à en juger les cendriers pleins, les bouteilles, mégots et divers papiers qui recouvraient le sol de sa chambre et du couloir, jusqu'à la pièce à vivre qui faisait office de cuisine/salon/salle à manger.

Elle coinça sa clope dans sa bouche et parti à la recherche d'une tasse un tant soit peu propre. Elle en trouva une posée dans l'évier, la rinça rapidement, avant d'aller allumer la cafetière. Elle tira une dernière latte et, d'une pichenette, la cigarette finis dans le cendrier posé sur le plan de travail.

Elle but rapidement son café, se brûlant la gorge au passage et pris une douche rapide. Elle qui, quelques minutes plus tôt, n'avait aucune envie de bouger et prévoyais de passer le reste de sa journée dans son appartement se sentait soudainement étouffer. Il fallait qu'elle sorte. 

Le réveil posé sur l'étagère de la salle de bain lui indiqua 17h39.  Elle avait encore passé une grosse partie de sa journée à dormir. Un legging noir, un pull long, des rangers, un bonnet, et elle était partie. Elle passa son reflex autour de son cou et claqua la porte, se retrouvant happée par les rues de Paris.

La photo, c'était sa vie.

En réalité, ça ne l'était pas exactement, ça ne l'était pas du tout, même, mais ça lui plaisait de répondre ça quand les gens posaient des questions. Ça lui évitait de s'épandre sur le sujet, ça coupait court à beaucoup d'autres questions, et elle aimait le son qu'avait cette phrase dans sa bouche. Elle aimait entendre de sa propre bouche qu'elle n'était pas bonne à rien, qu'elle avait quelque chose qui donnait de l'intérêt à sa vie. Même si ça n'était qu'un vulgaire mensonge, une vague illusion. 

Malgré tout, quand elle s'ennuyait, c'est-à-dire la plupart du temps, elle aimait en faire le centre de sa vie. Elle sortait, habillée à la vas-vite, son appareil autour du cou et photographiais tout ce que avait assez d'intérêt pour attirer son attention. C'était son occupation principale, en journée.

Paris la répugnais. Elle y vivait depuis toujours, mais ça ne l'empêchais pas de ressentir une sorte de gêne lorsqu'elle se baladait dans les rues. Elle ne se sentait pas à sa place, comme étrangère. Elle rêvait d'Ailleurs, elle voulait partir à la recherche de ce « Grand Peut-être » dont on lui avait souvent parlé, afin de lui donner une motivation à faire quelque chose de son existence. Cependant, elle devait admettre que si l'on cherchait bien, aux bons endroits, Paris devenait la ville la plus fascinante au monde. En somme, elle était un petit bijou à elle toute seule, si on faisait abstraction de son côté mièvre et clinquant.

Elle déambula longtemps dans les rues, bifurquant lorsqu'elle repérait des passages inconnus, menant à des coins inexplorés, photographiant l'art de la rue, comme elle se plaisait à l'appeler. L'architecture des maisons, les graffitis, les passants, l'agitation, le calme, le ciel, les voitures, les petites boutiques, la Seine. Paris et son art. Dans ces rares moments, elle s'apaisait. Elle ne pouvait pas dire qu'elle allait mieux, c'était faux, mais se concentrer un instant sur ses photos, sur la meilleure manière de faire ressortir la beauté de l'urbanisme, de faire ressentir ce qu'elle ressentait en capturant les clichés, lui vidait la tête.

Elle arriva sur les bords de la Seine, se faufilant entre les passants qui marchaient lentement sur le trottoir, flânant sous le timide soleil d'octobre en admirant les divers portraits et vieux livres qu'on y vendait. Elle n'aimait pas les lieux de passage comme celui-ci. L'impression d'être happée par la foule, qui la forçait à aller dans le même sens que tout le monde, dans le sens de la marche l'indisposait. Elle faisait partie de ces gens qui se plaisaient à s'arrêter net en plein milieu d'une rue commerçante un jour de soldes, juste histoire d'emmerder le monde et montrer que non, elle, elle n'était pas vulgairement soumise aux idées de convenance et à la société de consommation.

Un passant la bouscula, manquant de la faire tomber. Elle eut envie de se retourner pour l'interpeler et l'insulter, mais le reflet du soleil dans l'eau du fleuve l'en empêcha. Son reflex devant les yeux, elle prit plusieurs clichés avant de continuer son chemin. Devant elle, un couple marchait, les doigts entrelacés. Elle fixa longtemps leurs mains jointes avant d'en prendre une photo, non sans se demander  pourquoi ils éprouvaient le besoin d'exprimer leur niaiserie en public.

Elle traversa, passant sur l'autre trottoir sans vraiment faire attention aux voitures qui roulaient droit sur elle. A la terrasse d'un café, un homme fumait, une tasse ridiculement petite pour le prix auquel il avait dû la payer posée devant lui. Elle s'arrêta, bouchant sa vue si d'aventure il était en train d'observer quelque chose.

Excusez-moi, vous n'auriez pas une cigarette, s'il-vous-plait ?

Il la regarda, sans vraiment réagir, jusqu'à ce que sa conscience de bon samaritain lui dictât de sortir une cigarette de son paquet de Camel en même temps que son briquet et de les tendre à la jeune fille. Elle s'en empara, alluma la cigarette et reposa négligemment le briquet sur la table de bistrot.

Merci ! lança-t-elle, déjà repartie

Elle traîna encore un moment dans Paris avant de décider qu'il était temps de rentrer. Elle n'avait aucune idée de l'heure qu'il pouvait être, mais selon elle, il était déjà tard. Elle déposa son appareil photo sur son lit et ressortis immédiatement de sa chambre pour aller se fumer une clope devant la télévision.

Habituellement, elle ne laissait jamais son reflex dans sa chambre. Elle ne savait pas pourquoi, mais la routine faisait qu'aussi loin qu'elle se souvienne, il atterrissait toujours sur la table basse de récup de son salon. Pourtant, il n'avait jamais semblé mieux à sa place qu'aujourd'hui, sur son lit.

Sa chambre n'était pas très grande. Juste assez de place pour caser un matelas à même le sol, une lampe, elle aussi posée par terre, quelques babioles auxquelles elle faisait mine de tenir, un portant pour accrocher ses vêtements et des photos. Beaucoup de photos. Toute la partie supérieure des quatre murs de la pièce en étaient tapissés. Ça l'aidait à faire le point à y voir plus clair. C'était une sorte de journal intime, pas très intime, certes, mais puisque personne ne venait jamais chez elle, ses secrets étaient plutôt bien gardés.

Il y avait des photos d'elle  durant son enfance, quelques-unes, des photos de sa famille, un peu, des photos de personnes qui avaient compté pour elle, par-ci par-là, des photos de lieux empreints de souvenirs, un peu éparpillées. Mais il y avait surtout des photos qui marquaient les liens entre les photos, et des indications, au feutre rouge. Des dates, des adresses, des précisions, des souvenirs, des flèches, des croix, des clichés entourés. Ces murs étaient le résumé détaillé des 21 premières années de sa vie.

La deuxième partie des murs, la partie basse, celle qui n'était pas recouverte de photos avait presque gardé sa couleur blanche des premiers jours. Elle avait juste quelque peu changé, au fil des mois passés dans cet appartement, elle avait juste viré au blanc sale, comme sa vie.

Assise sur son canapé, la clope s'étant transformée en joint, elle fixait l'écran de sa télé, le regard vide. Son cœur explosait, encore. Elle avait envie de pleurer, encore. Elle ne voulait pas rester seule ici, encore. Elle avait besoin de sortir, encore.

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