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Il lui avait dit "je t'aime". Il lui fallut au moins une bonne partie du trajet jusqu'au salon de tatouage pour le réaliser. Il ne savait pas si c'était une bonne chose, mais il se sentait soulagé. Elle savait. Elle savait ce qu'il ressentait, et de toute façon, qu'aurait-il pu rire d'autre ? Après de tels aveux, il n'y a rien à dire. 

Il attacha son bmw devant la vitrine et entra le premier dans la petite boutique. Anthony n'était pas encore arrivé, mais son premier client allait bientôt être là. Théodore soupira et prépara méticuleusement l'encre, les aiguilles, se lava consciencieusement les mains et la clochette ne tarda pas à retentir. 

Le sourire au lèvre, il invita le jeune homme - surement tout de même plus vieux que lui - à s'installer sur le fauteuil et commença à travailler. Au moins, concentré comme il l'était, il ne pouvait penser à rien d'autre. 

Dès que la porte avait claqué, Adrianna s'était levée du canapé. Elle avait filé dans sa chambre pour enfiler un pull qui lui faisait pratiquement office de chemise de nuit avant d'attraper son paquet de cigarette et de sortir de son appartement, pieds nus.

Elle avait monté rapidement les marches des escaliers jamais empruntés qui menaient jusqu'au toit et c'était prit un gros courant d'air lorsqu'elle avait ouvert la lourde porte qui la séparait de l'extérieur.

De là où elle était, elle surplombait presque toute la ville. Les souvenirs liés à cet endroit la firent sourire alors qu'elle s'allumait un joint. Ils venaient toujours ici pour refaire le monde. Aaron.  Je t'aime

Théo essuya la peau du brun et lui expliqua comment prendre soin de son tatouage pendant qu'il bandait la peau encore à vif. C'est à ce moment que le propriétaire arriva. 

Comme chaque matin, il se déshabilla et alluma la télé avant de passer devant Théodore pour aller se laver les mains, sauf qu'aujourd'hui, le tatoué n'entendit pas l'eau couler. Fronçant les sourcils, il raccompagna son client avant d'aller voir son patron et ami. 

Qu'est-ce qui se passe ? interrogea Théo en se plantant devant Anthony

Le grand blond lui fit signe de regarder la télé.

C'est pas la gamine tu ramènes tout le temps ?  

Le coeur de Théodore s'arrêta. Elle était debout sur le rebord de son toit, filmée par hélicoptère. Son sang ne fit qu'un tour et il se rua hors du salon de tatouage, sans penser à reprendre son vélo. Il ne pensait qu'à courir, courir vers elle. 

Elle, elle s'amusait de la foule qui grandissait petit à petit en contre-bas. La police l'attendait de pied ferme, lui hurlant via leur mégaphone de s'éloigner du rebord, attirant des badauds qui n'avaient jamais vu le toit d'un immeuble de leur vie.

Elle prit son temps pour finir sa cigarette et leva le nez vers l'engin qui volait au dessus d'elle depuis un moment déjà, faisant un bruit atroce. Pourquoi n'avait-elle jamais droit au silence ? 

Adrianna jeta son mégot, fit quelques pas sur sa gauche, sourit en voyant les policiers se déplacer avec elle et, agilement, comme elle l'avait déjà fait des dizaines de fois, couru le long du rebord, vers la droite, et se jeta dans le vide. Je t'aime

Lorsque Théo arriva au bout de la rue, il vit la foule. Il vit la foule, il vit la police, il vit les lumières, il vit le corps d'Adrianna qui tombait à une allure folle vers le sol. Et il hurla. Qu'aurait-il pu faire d'autre ? 

Il se précipita et essaya de passer la sécurité qui lui interdisait l'accès à ce corps qu'il avait tant aimé qui gisait désormais sur le bitume. Rien à faire. Ils ne le laisseraient pas passer alors il se contenta de rester là, observant sa belle, anéanti. 

 Il senti les larmes glisser sur ses joues et il ne fit même pas l'effort d'essayer de les retenir. Elle était morte. 

C'est toi et moi, maintenant.

Il tourna la tête, offusqué par ce qu'il venait d'entendre.  Sparrow le regardait calmement, aussi calmement qu'elle avait prononcé les quelques mots qui lui donnaient envie de vomir. 

Quoi ? demanda-t-il en riant nerveusement, Jamais de la vie. C'est ta faute. Tout ça c'est de ta faute.
Doucement, Don Juan, c'est ma meilleure amie qui est allongée là, lui rappela-t-elle, ça allait arriver de toute façon. 
Non ! Je l'aurais empêché de le faire.
A ce que je sache, c'est moi qui ait appelé la police hier soir pour la mettre sous surveillance, pas toi
Tu ...
Je suis pas la méchante, coupa la rousse, arrête d'essayer de m'engueuler. 

C'était un dialogue de sourd. Il préféra se taire. Les secours arrivèrent, bien qu'il n'y ait plus personne à secourir et  Théodore les regarda emmener son Adrianna sans dire un mot, sans tenter de lui dire au revoir, sans bouger. 

Tu viens ?

Face au manque de réaction du brun, Sparrow soupira et vint se planter devant lui.

T'as pas connu Aaron, tu sais pas qui elle est. T'es tombé amoureux d'un cadavre. Je t'ai dit de te barrer, mais évidemment, t'as préféré en faire qu'à ta tête. Moi aussi j'aurais préféré que ça finisse autrement, mais ouvre les yeux, y avait pas d'autre issue pour elle. Et même si ce tas d'abrutis s'étaient doutés qu'elle tomberait six mètres à leur droite, elle aurait réessayé, encore, et encore. Et même si t'avais essayé de la retenir, ça n'aurait été que de l'égoïsme pur et elle se serait barrée. 

Elle sourit faiblement, haussant les épaules, et lorsque Théodore planta ses yeux dans les siens, il y vit le même vide que dans les yeux d'Ad. Le même vide qu'il ressentait maintenant. 

Mais elle allait mieux, fit-il misérablement, on était heureux.
-  Ouvres les yeux. Quel côté de sa personnalité elle te montrait, à ton avis ? Réfléchis. T'as pas cherché ? Tu t'es pas posé des questions ? Elle a toujours été un peu barrée, mais quand Aaron est mort, elle a refusé de le laisser partir alors elle a tout simplement pris possession d'un bout de sa personnalité. Elles étaient deux, Théo. C'était de moi qu'il était amoureux, pas de toi. 
Mais elle, elle, elle m'aimait.

Lorsque les mots sortirent de sa bouche, il comprit. Il avait toujours voulu la comprendre tout en gardant les yeux fermés. Alors, silencieusement, il hocha la tête et suivit Sparrow. Je t'aime.  

InsomniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant