16. Croquis

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Théodore quitta le park de béton, malgré les quelques protestations de ses compagnons de fortune, beaucoup trop tôt. Il avait l'habitude de rester du lever au coucher du soleil, mais Adrianna était partie et il n'aimait pas ça. Il n'aimait pas se poser toutes les questions qui bourdonnaient dans sa tête. Il n'était habitué à se les poser. En vérité, il n'était pas habitué à s'inquiéter pour quelqu'un.

Il avait déjà eu des relations sérieuses – une seule, en fait -, mais il n'était pas du genre jaloux, possessif, ni même attentif, parfois. Il n'était pas du type « collant », celui que les filles en général recherchaient sans trop se l'avouer, bien au contraire. Il aimait sa liberté, il en avait besoin comme il avait besoin d'oxygène et il partait du principe que tout le monde était comme lui. Vu comment s'était terminée sa dernière histoire, ça n'était pas le cas. Pourtant, maintenant qu'il se heurtait à une personne au besoin de liberté similaire, voire supérieur au sien, il se sentait désorienté. Il ne savait plus comment réagir.

Il savait qu'elle n'était pas comme les autres. Il savait que si sa liberté à lui lui apportait l'air nécessaire à sa survie, celle d'Adrianna n'avait rien de vital, bien au contraire. Elle n'était pas libre parce qu'elle le pouvait, elle l'était et c'était tout. Et, alors qu'il traversait Paris, il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui l'avait enfermée dans cette liberté. Qu'est-ce qui l'avait arrachée à toute réalité, la laissant divaguer à loisir ?

Au début, il n'avait pas vraiment fait attention. Comment regarder alors qu'elle le couvrait de baisers brûlants, mais leurs habitudes avaient changées. Au fil des courtes semaines qui les séparaient désormais du jour de leur rencontre, ils s'étaient attachés. Théodore, du moins, s'était attaché même s'il peinait à le reconnaitre. Ils étaient passés de deux inconnus qui baisent à deux inconnus qui baisent pour apprendre à se connaitre. Et même si Adrianna ne parlait pas, il s'efforçait d'entendre dans ses silences et de lire les émotions diluées dans ses iris verts.

Il était loin de pouvoir raconter quoi que ce soit sur elle, mis à part son prénom stéréotypé et ses courbes qu'il aimait tant, mais à défaut de savoir un quelconque détail sur ce qu'elle était vraiment, il avait l'avantage de connaître chaque centimètre de la peau de la brune par cœur. Chaque bleu, chaque brûlure, chaque coupure, chaque cicatrice. Il pourrait les replacer de mémoire à leur emplacement exact. Il ne savait juste pas quels secrets ces marques dissimulaient.

Il s'arrêta devant l'immeuble où résidait Adrianna, rentra son vélo dans le hall sous les boîtes aux lettres comme il le faisait à chaque fois et s'engagea dans les escaliers.

Il ne prit pas la peine de toquer, ni même de manifester sa présence quand il ferma la porte derrière lui. Une légère odeur de shit flottait déjà dans l'air. Il avança dans le petit corridor sombre et se retrouva dans le salon, vide. Il fronça les sourcils. Elle était toujours dans le salon, d'habitude.

Ad ? appela-t-il doucement

Pas de réponse. Il se dirigea alors vers la chambre, et il la retrouva, assise par terre face au mur, un crayon rouge coincé entre les dents, un autre entre les doigts, griffonnant rapidement sur un bloc de feuilles à dessin. La feuille sur laquelle elle crayonnait était déjà couverte de dessins et symboles en tout genre. Elle ne l'avait pas remarquée.

Il leva un peu les yeux et remarqua que la partie encore vide de la partie haute du mur d'Adrianna, celle qui était juste à la gauche de l'encadrement de la porte de sa chambre, en face de son lit, s'était réduite. Des photos de lui et d'autres, visiblement sans rapport. Pourtant, les indications écrites en rouge sur les clichés semblaient démontrer qu'il y en avait un. La clé était là, il le savait, mais il ne parvenait pas à dégager les informations qui pourraient lui être utiles. Il y avait tellement de noms, de dates, de citations, de flèches, de cercles sur ces murs qu'il ne savait pas où donner de la tête.

Tu fais quoi ?

Il avait posé sa question à mi-voix pour éviter de la faire sursauter. Elle ne répondit pas, une fois de plus, mais secoua la tête pour lui faire signe que ça n'était pas le moment.  Théo soupira et la laissa tranquille, allant s'asseoir sur le matelas qui faisait office de lit à la jeune femme.

Il tira une cigarette du paquet posé au sol et tira longuement dessus alors que seul le bruit du feutre noir glissant sur le papier se faisait entendre.

Elle s'était changée. Elle portait désormais une paire de leggings noirs et un t-shirt bien trop grand pour elle. Un t-shirt d'homme. Ses cheveux étaient détachés et tombaient en cascade sur ses fines épaules, comme presque tout le temps.

Il tourna la tête pour observer plus en détail la chambre qui lui était dorénavant familière et remarqua le sac en plastique blanc qui trônait à sa droite. Il l'ouvrit et son contenue le surprit.

Tu veux que je te tatoue ? demanda-t-il, surpris

Le crayon s'arrêta et Adrianna se retourna, plantant ses yeux dans les siens. Ils étaient cerclés de noir, et une larme foncée coulait encore sur sa joue.

T'as promis. 

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