Insomnia

15. Bipolarité

Ils rentrèrent côte à côte dans le skatepark, Théodore sur son vélo et Adrianna marchant à côté de lui, la clope à la bouche. Elle portait son éternel bonnet noir et un sweat trop grand pour elle pour se protéger du froid.

L'endroit était presque désert à l'exception de quelques inconditionnels qui bravaient les températures, comme Théo. Et il était d'autant plus motivé qu'il avait réussi à faire sortir Adrianna de chez elle. Peu à peu, il avait l'impression qu'il arrivait à la faire sortir de sa routine morbide et il n'en était pas peu fier.

Même si elle n'était pas venue beaucoup de fois, elle était tout de même reconnue. Depuis sa rencontre avec Théodore, elle l'avait accompagné une petite dizaine de fois et il n'en avait pas fallu beaucoup plus pour qu'elle soit plus ou moins intégré au groupe de riders. Ils ne c'étaient pas pris d'affection pour elle, ils étaient tout simplement irrésistiblement attirés par elle et ce qu'elle dégageait. Comme tous les autres. Comme Théo.

Elle prit sa place habituelle, celle où elle avait le meilleur angle de vue, celle où elle avait pris Théodore en photo le premier jour et ferma les yeux. Elle aurait largement préféré passer la journée au lit avec le brun. Et il faudrait qu'elle négocie ses tatouages quand ils rentreraient. Il lui avait promis, après tout.

Le tatoué rejoins le petit groupe qui s'était déjà formé, à la base d'une rampe. Il voyait leurs regards, il sentait les sous-entendus, il se rendait compte des murmures, mais il ne savait pas si ça le gênait ou s'il en était fier. Il ne savait plus. Parfois, il doutait même de savoir qui il était, alors qu'il s'était presque façonné lui-même. Adrianna lui montait à la tête, et pas comme une fille était sensée monter à la tête d'un garçon.

- T'es mordu, hein. Lança un blond, replaçant ses cheveux sous sa casquette

Il haussa les épaules, un demi-sourire dessiné sur les lèvres. Ouais, il était mordu, sa peau portait encore les traces des longues heures où il parvenait à prendre le dessus sur le vide, le blizzard.

- Fais-la rire, ça marche à tous les coups. 

Pas avec elle. Adrianna ne rit pas. Elle ne rit plus. Elle sourit, parfois, avec ses yeux, quand elle est défoncée.

- Ouais, répondit Théo platement

Il s'en foutait de la faire rire. Il voulait la faire vivre comme elle n'avait jamais vécu. Il voulait la faire vivre comme elle le faisait vivre. Différemment. Sans se poser un demi-milliard de question, sans rien attendre du lendemain, sans se souvenir de la veille. Il voulait qu'elle ouvre les yeux, qu'elle voit qu'il était là, et pas seulement quand il s'agissait de la prendre sauvagement sans penser aux éventuels voisins. Il était là, et il était possible qu'il soit un peu plus mordu que ce qu'il pensait.

- Théo ?

Il se retourna, entendant la voix un peu cassée d'Adrianna l'appeler. Elle était allongée, expirant une fumée trop dense pour être du tabac.

- On rentre ? continua-t-elle

Un soupire s'échappa de ses lèvres alors qu'il consultait l'heure sur la montre du mec à sa gauche. Ils étaient là depuis moins d'un quart d'heure. Cette capacité qu'elle avait à changer d'avis en une demi-seconde le fascinerait toujours, même si elle semblait s'accentuer un peu plus chaque jour.

La brune se rehaussa à l'aide de son coude pour regarder Théo, visiblement peu disposé à bouger. Qu'il était chiant, avec sa routine à deux balles.

Elle se releva agilement et ajusta son appareil photo sur sa poitrine. Il était hors de question qu'elle s'interdise de bouger pour ses grands yeux.  Les conversations reprirent de plus belle lorsqu'elle eut dépassé les grilles jamais fermées de l'endroit. Ils étaient vraiment pathétiques une fois retombés au sol.

Elle fit quelques pas et alluma une cigarette, décidant d'explorer l'arrondissement. Elle n'avait pas grand-chose d'autre à faire, de toute façon. Elle passa devant une ruelle peu attirante, un grand parc vide, une rue commerçante décolorée et son cerveau analysa la chose comme d'une beauté muette. La beauté de Paris.

Parfois, elle se demandait ce qui dérouillait chez elle. Beaucoup de choses, probablement. Elle avait l'impression d'être une baignoire dont on avait retiré le bouchon et qui se vidait inévitablement.

Elle leva le nez, attirée par la lumière clignotante d'une enseigne « tattoo » au-dessus d'une porte vitrée. Une clochette tinta lorsqu'elle poussa le battant et elle fut accueillie par un grand blond visiblement désœuvré. Pourquoi pas ?