28. Biographie

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J'ai grandi dans le XIVe arrondissement de Paris, dans une famille sans problèmes, ni sociaux, ni financiers, avec mes parents et mon frère. Durant les dix premières années de leur mariage, mes parents ont cru qu'ils étaient stériles, alors quand ils ont eu deux gosses pour le sperme d'un, on peut dire qu'ils ont été sacrément heureux. Bon, à ce moment-là, ils se doutaient pas qu'il n'y en aurait pas un pour rattraper l'autre.

Maman disait que quand on était bébés, il fallait nous déshabiller pour savoir qui était qui. Les mêmes yeux verts, les mêmes bouclettes, les mêmes bouilles rondes. Ce jour-là, j'avais eu envie de lui expliquer le principe des jumeaux, mais elle avait l'air tellement attendrie en y repensant que j'avais juste sourit.

Elle n'avait jamais eu le courage de nous séparer, alors depuis le placenta, on dormait, mangeait, se lavait ensemble. Ça n'avait jamais été autrement. Les maîtresses à l'école avaient bien essayées de nous intégrer au groupe d'enfant de notre âge mais s'il jouait aux voitures, je jouais aux voitures et si je jouais à la poupée, il jouait à la poupée. Du coup, on était un peu les mongoles de la classe. Mais c'était pas trop grave, parce que nous, au moins on était sûrs de pas se faire piquer notre goûter. Y avait juste eu cette fille, constamment habillée en rose ou en blanc, le plus souvent des robes, parfaitement peignée d'une façon différent chaque jour mais toujours afin de mettre en valeur ses yeux bleus de poupée. Elle était venu nous demander si notre maman était mariée à une photocopieuse, et c'était devenue notre pote. Aaron arrivait pas à prononcer son prénom, alors il l'avait surnommé Ada, vu que Ad était quasiment le seul truc qu'il savait dire à l'époque. En même temps, quelle idée d'appeler sa gosse Sparrow.

On s'était plus vraiment lâchés depuis. Au primaire, les garçons de notre classe se moquaient de nous et disait qu'on sortait ensemble, Sparrow et moi, alors Aaron l'avait embrassée pour montrer que sa petite sœur était normale. Maintenant que j'y repense, c'est vrai que j'aurais pu me la faire. En plus, en CE2, on sait pas embrasser, alors la pauvre s'est fait baver dessus. Bon, après ça été mon tour parce qu'il avait voulu s'entraîner.

Quand on est passés au collège, Sparrow a commencé à en pincer pour Aaron. Je l'avais menacé avec un couteau pendant qu'il était aux chiottes. En même temps, quelle idée de me dire qu'elle avait des sentiments pour monfrère. Mais bon, je savais que c'était un peu pareil de son côté alors ça n'a fait que retarder la chose de quelques années, jusqu'à la puberté quand Aaron est littéralement devenu un dieu.

Au lycée, toutes les filles étaient à ses pieds. Elles voulaient toutes avoir l'honneur d'être dépucelée par lui. Sauf qu'elles savaient pas qu'il était encore puceau et qu'en plus, on dormait dans le même lit. Ça compliquait un peu la chose. Je crois que c'est à ce moment-là que notre cote de popularité est grimpée en flèche. Maintenant que j'avais des seins et qu'il s'était fait tatouer, on était plus les jumeaux chelous. On était les jumeaux chelous qui fascinaient tout le monde.

En même temps, quand tu vas dans un lycée privé catholique où l'année coûte au moins mille Livres à tes parents et que t'es constamment habillé comme des clochards, t'attires forcément l'attention. Mais c'était cool. On avait la beuh gratuite, il suffisait de battre un peu des cils. La beuh. On a été les premiers du bahut à en fumer ouvertement, au plus grand damne de nos parents et de ceux de Sparrow qui lui répétaient constamment qu'on avait une mauvaise influence sur elle. Le lycée, c'était quand même vachement cool. On a réussis à avoir notre bac en multipliant les absences injustifiés et les cours dans un état désastreux. Une fois, on avait pariés une semaine d'esclavage qu'on pourrait pas aller en cours complètement bourrés. C'était à celui qui tiendrait le plus longtemps sans vomir ou se faire expulser. Je m'étais fait une joie de lui faire laver mes chaussures à la brosse à dent.

Simultanément, il avait commencé à sortir avec Sparrow et ça n'a rien changé. Ils évitaient les trop-plein d'affection en ma présence et Aaron compartissait son temps pour être à la fois un amoureux parfait et un petit con égocentrique. Et c'était vraiment bien.

Et puis il était mort. Subitement, sans prévenir, sans me dire au revoir.

Je m'étais toujours imaginé que si l'un de nous venait à se trouver dans une situation critique, il ne pourrait pas s'en aller sans avoir fait ses adieux à l'autre, moi je n'aurais pas pu. Je n'aurais pas pu mourir sans voir son visage une dernière fois.

Tout était censé aller mieux, pourtant. Il avait eu sa greffe de foie. Mais il était mort sur une table d'opération alors qu'ils essayaient d'améliorer la situation qui s'était empirée une fois qu'un bout de moi avait été en lui.

Plus rien n'avait été pareil après. J'étais restée chez mes parents le temps de me remettre sur pied, et puis j'étais partie. J'avais tout laissé tomber. Je ne pouvais pas continuer de dormir dans le lit que nous avions toujours partagé, je ne pouvais pas continuer de me lever tous les matins pour faire face à mes parents qui me regardaient d'un air désolé, à la fois parce qu'ils avaient pitié, mais aussi parce que je leur rappelais trop leur fils disparu.

J'étais partie me réfugier dans cet immeuble qu'Aaron voulait racheter et rénover plus tard et j'avais élu domicile dans le premier appartement. Je m'étais sentie mal par rapport à Sparrow, alors je lui avais envoyé ma nouvelle adresse en espérant qu'elle ne vienne jamais. Je n'avais pas été aux funérailles. Je m'étais juste effacée.

J'avais besoin d'occuper mon esprit, alors l'alcool, la drogue et la fête étaient vite devenus une habitude. Vivre dans un semi-coma permanent, c'était plutôt cool.

Mais Théo avait débarqué et essayé vainement de me faire sortir de là. Il y était presque parvenu. Mais Orphée n'était pas censé se retourner avant d'être sorti de l'enfer pour retrouver Eurydice, même la dernière marche de l'escalier compte.

Mon histoire n'était pas plus singulière qu'une autre. J'avais tout eu, tout perdu et depuis, j'attendais, mais je savais que si un jour je venais à la mettre sur papier, elle se terminerait probablement au milieu d'

InsomniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant