12. Magenta

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Debout devant le lavabo de sa salle de bain et face au miroir qui le surplombait, Sparrow peinait encore à ouvrir les yeux convenablement. Les matins où elle se réveillait suffisamment tôt pour se réveiller devant la télé, un bon chocolat chaud entre les mains étaient meilleurs, mais ce matin, comme à son habitude, elle était en retard. Elle devait donc se contenter d'un réveil à l'arrache.

Elle réussit enfin à fixer son regard sur son reflet et, comme tous les matins, fus surprise de son apparence. Pourtant, elle avait les mêmes yeux bleus qu'avant, et même s'ils étaient encore cernés, ça partirait avec un peu de maquillage, le même nez bien droit, légèrement relevé en trompette qui lui donnait un air de petit lutin, le même visage d'un ovale parfait, même si elle avait un peu perdu des joues. Seuls ses cheveux dénotaient à présent.

La photo encore accroché au miroir en témoignait, à un moment, elle avait eu de longs cheveux blonds, soyeux, qui lui valaient l'admiration, voire la jalousie, de plusieurs personne. Et qu'elle les aimait, ces cheveux. Elle les attachait et les détachait sans cesse, passant ses mains dedans à longueur de temps, se laissant coiffer puis décoiffer.

Maintenant, ils atteignaient à peine ses omoplates, et le noir artificiel de ses longueurs se fondait à la perfection avec le rouge qui colorait ses pointes. Mais elle les aimait aussi.

Elle avait fait ça sur un coup de tête, un soir, en rentrant des cours. Elle était passé devant le coiffeur de sa mère, était rentrée et avait demandé une coupe opposée à celle qu'elle avait à l'époque, quelle qu'elle soit. La coiffeuse, bien qu'un peu perplexe, s'était exécutée devant l'air décidé de la jeune fille et celle-ci en avait été plus que satisfaite. Si Adrianna pouvait se barrer de chez elle, elle pouvait bien changer de coupe de cheveux.

Elle se rappelait parfaitement de cette phrase lui passant par la tête. Elle s'était trouvée pathétique et avait faillis se mettre à pleurer. Mais elle ne l'avait pas fait. Elle s'était levée, avait payé et était rentrée chez elle pour faire face à sa mère qui l'avait engueulée comme jamais, lui renvoyant encore une fois dans la figure que ses fréquentations ne lui réussissaient vraiment pas.

Là, elle avait fondu en larmes. Comme une enfant. Elle s'était mise à hoqueter et, malgré le savon qu'elle était censée être en train de se faire passer, elle s'était effondrée dans les bras de sa mère, un peu surprise. Elle lui avait demandé ce qui n'allait pas et Sparrow avait été incapable de répondre.

Elle se sentait faible et pathétique. Abandonnée, aussi. Elle n'avait plus personne. Pendant des mois elle s'était construit un monde et il s'était écroulé, en si peu de temps que sur le coup, ça ne lui avait même pas fait mal. Elle n'avait plus de fréquentations, elle n'avait plus qu'elle-même.

Elle n'avait plus personne pour l'appeler « Ada », elle n'avait plus personne pour jouer avec ses cheveux, elle n'avait plus personne pour l'embrasser dans le cou, elle n'avait plus personne pour l'appeler le soir et l'endormir, elle n'avait plus personne avec qui manger le midi, elle n'avait plus personne. Elle était seule, et elle sentait qu'elle était en train de se perdre.

Ça n'était pas comme si elle n'avait pas essayé, pourtant. Elle s'était rendue à cette adresse envoyée anonymement par sms et y avait trouvé exactement ce dont elle avait besoin. Adrianna. Et ça l'avait détruite encore plus. Ça ne l'avait pas vraiment étonné, cependant. Elle s'était toujours attendu à ce que ce côté de la personnalité de la brune se retourne contre elle. Adrianna était beaucoup trop belle pour être inoffensive, et elle ne le savait que trop bien.

Sparrow s'inspecta méticuleusement une dernière fois dans son miroir. Une peau parfaite, désormais libérée de toute imperfection, ses yeux soulignés d'un trait d'eye liner parfait, ses lèvres colorées d'un rouge discret. Il lui restait une grosse demi-heure pour arriver à la fac. Il lui suffirait d'acheter un café en chemin pour finir de la réveiller, même si elle avait horreur de ça, et de marcher rapidement.

Elle ajusta ses vêtements une dernière fois, attrapa son sac, sa veste et ses clés et sortis de l'appartement de ses parents en claquant la porte derrière elle. Une fois dans la rue, elle s'activa jusqu'au Starbucks le plus proche et commanda un frappuccino à la noisette. Elle n'avait jamais vraiment goûté auparavant, mais il lui semblait que c'était la boisson qui passerait le mieux.

Elle sorti du café, la tasse de carton lui brûlant le bout des doigts et héla un taxi qui, par chance, se présenta. Elle lui indiqua le nom de son université, assez connue pour qu'elle n'ait pas besoin de stipuler une adresse, et se laissa doucement retomber contre les sièges de la voiture, portant sa boisson chaude à ses lèvres. Elle prit une gorgée et grimaça. Elle n'aimait définitivement pas le café. 

Le taximan n'eut même pas le temps de se garer que Sparrow avait déposé ce qu'elle lui devait sur le siège passager à l'avant et avait sauté de la voiture. Elle se faufila entre les jeunes encore devant l'enceinte de l'établissement, jeta son café encore à moitié plein dans une poubelle et rentra dans l'amphi avant d'avoir le temps de s'apercevoir qu'on la dévisageait.

On la dévisageait toujours. Sa mère lui disait que c'était parce qu'elle était une beauté naturelle et que ça intriguait beaucoup de gens, mais elle savait que c'était parce qu'on pouvait lire sur son visage que quelque chose n'allait pas chez elle. Rien que le décalage entre sa coupe de cheveux et la coupe de ses vêtements prouvait qu'elle n'était plus normale depuis longtemps.

Elle n'y pouvait pas grand-chose. Elle n'était pas fausse, elle ne voulait pas faire semblant. Elle n'avait plus la force de faire semblant.

Elle s'assit à sa place et sorti ses affaires méticuleusement, essayant de se concentrer sur quelque chose. Le goût âpre du café au fond de sa gorge, par exemple.

Un rire résonna dans l'immense pièce. Sparrow se retourna vers sa provenance mais ne rencontra que le regard perplexe et presque apeuré d'une fille assise quatre rangs derrière elle. Elle aurait juré que c'était celui de ... Elle coupa court à ses pensée dans un soupire. Un vampire.

Une fois qu'elle vous avait mordu, c'était définitif, pour la vie. Une douleur lancinante qui  ne partait jamais vraiment, un souvenir omniprésent, un prénom encré sous la peau. Un rire, une façon d'être, des yeux, un sourire, des fossettes, elle, tout. Adrianna.

Elle avait décidé de s'oublier et Sparrow était condamnée se souvenir pour deux. 

InsomniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant