De l'électricité dans l'air

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Etant une des premières à être arrivée à mon étage, j'avais fait couler un café et m'étais prise à rêver longuement quant à la complexité des relations humaines lorsque soudain, le tintement strident émis par l'ascenseur me fis pivoter sur mon siège, me retrouvant confrontée au regard de Matt. D'abord brièvement accroché au mien, il avait fui devant mon air sévère et son mouvement de tête, de gauche à droite, en signe de désolement m'avait atteint en plein coeur. 

Son téléphone portable en main, je l'avais vu bifurquer pour rejoindre notre salle de pause et pouvais parier qu'il venait d'inviter Colin à le rejoindre pour un café. Mon intuition fut confirmée en un rien de temps, voyant le grand ténébreux dont la tanière se situait un étage plus bas, faire son apparition par la cage d'escalier.

Déterminée à espionner, intégrant à ma décision, le risque considérable d'y laisser des plumes, j'avais terminé ma tasse de café et m'étais avancée dans leur direction, en toute discrétion. Longeant la porte, faisant mine de me rendre aux sanitaires, extrêmement proches. M'assurant au passage que mon allure mollassonne n'avait en rien alerter mes collègues. En l'occurrence, je pouvais me féliciter de voir le peu d'entre eux, déjà présents, extrêmement concentrés. 

Suffisamment pour que le plan échafaudé fonctionne sans être catégorisé par la suite d'impotente. Matt Ortega, mon collègue, mon ami, mon amour dissimulé sous des couches de faux semblant s'escrimait à comprendre ce qu'il avait bien pu faire, ou ne pas faire pour que je sois, à ce point, remontée contre lui : 

Matt : Je te jure, je n'y comprends plus rien ! 

Colin : Tu es un abruti Mec !

Matt : Lisa m'a dit la même chose il y a quelques minutes, Je vais finir par le croire à la longue ! Dit-il passablement agacé. 

Colin : Fais donc ça oui ! Sérieusement tu comptes la pleurer combien de temps encore ? 

Matt : Il ne s'agit pas d'elle, du moins pas seulement... 

Qui pleurait-il ? De qui parlait-il ? Lisa avait bien évoquée un jour la perte d'un être cher... Etait-ce une femme ? La sienne ? Cette idée me retournait l'estomac. L'imaginer endeuillé, au comble de la souffrance était une vision cauchemardesque. 

Colin : Alors c'est quoi le problème ? 

Matt : Imagine que je la mette en danger malgré moi ! 

Clairement, ils parlaient de ma petite personne à présent... 

Colin : Laisse-moi te demander quelque chose...

Matt : Je t'écoute. Au point où j'en suis....

Colin : Tu lui as demandé son avis ? Ou tu te contentes de prendre la décision à sa place ? Elle ne va pas forcément accepter cette vie mais ce n'est pas à toi de dicter ses choix.

Matt : C'est plus compliqué que ça Mec, on n'a jamais eu de réelles discussions à ce sujet !

Colin : Ah je vois, donc tu comptes vivre une vie sans amour le restant de tes jours parce que tu auras voulu jouer la carte de la prudence ? Ou tu es simplement mort de trouille ? 

Matt : Bien sur que non... Je... Oh et puis tu me soules... Vous me soulez tous aujourd'hui !

Colin riait à gorge déployée à présent car il savait qu'il n'y avait pas une once de méchanceté de la part de son ami, que sa façon de l'envoyer promener lui confirmait simplement qu'il avait atteint sa cible. Ah... Colin... Il n'était pas le plus bavard d'entre nous mais il était rare de l'entendre dire des choses insensées et intérieurement, je le remerciais de mettre Matt face à ses contradictions... Sérieusement... Matt, abstinent... Pourquoi pas moine bouddhiste aussi ?

Avant même que je n'ai eu le temps d'effectuer un quelconque mouvement de recul, la poignée de porte vivement malmener par la hargne de Mr Ortega Himself entra en collision avec mon dos, me faisant pousser un petit cri tandis que mon corps tâchait de se repositionner dans l'espace, espérant éviter une chute fracassante et pour le moins humiliante. Surpris de me voir dans cette posture, il me regarda, rieur, avant de m'interroger : 

Matt : Tu joues les petits espions ou tu n'osais simplement pas te joindre à nous ? 

Lenny : Je... C'est que... Hum... Non... J'allais, j'allais me... Me rafraîchir... Aux toilettes ! 

Matt : Ok et bien je t'en prie, à tout de suite dans ce cas.... Dit-il évitant de me mettre dans une posture plus délicate que je ne l'étais déjà, le sachant suffisamment vif d'esprit pour avoir intégré les raisons de ma présence. 

Lorsque de nouveau j'étais revenue à hauteur de mon poste, j'avais relâché tout le poids de mon corps sur ma chaise dans un bruit fracassant, signe d'une lassitude grandissante et tout en reportant mon attention sur celui qui faisait battre mon coeur depuis plusieurs semaines pour évoquer le dossier que nous avions à finir avant la fin de la journée, j'avais sentis son regard ambivalent me scruter avec autant de méfiance que d'affection. 

Retour à la case départ. Nous en étions à faire passer nos obligations professionnelles avant nos règlements de compte et pour suivre cette ligne de conduite, nous n'avions parlé de rien de plus que de nos ébauches respectives. Alternant nos pauses pour... "Avancer". Du moins c'était le motif invoqué pour éviter l'aveu du malaise qui planait. 

Matt : Je n'ai pas eu l'occasion de te le demander mais tu as passé une bonne soirée hier ? lança-t-il en rangeant ses premières affaires le soir venu.

Lenny : Excellente, dis-je en mentant effrontément, toutefois je ne donnerai pas suite avec Curtis. 

Matt : Je n'irai pas jusqu'à m'en réjouir mais...

Lenny : Un peu quand même. Annonçais-je dans un sourire timide face à son expression de ravissement. 

Matt : Juste un peu alors... Princesse... 

Lenny : Qu'est-ce qu'il y a Matt ? 

Matt : Je te sens distante, agressive, essentiellement à mon égard pourtant je ne suis pas certain d'avoir eu une conduite répréhensible ! Tu sais que je tiens beaucoup à toi.... 

Lenny : Je crois simplement qu'il y a certaines informations que tu n'es pas prêts à entendre Matt ! 

Matt : Si nous sommes aussi proches que j'aime à le penser, tu peux te confier à moi. Tu peux tout me dire ! 

J'avais envie de hurler. Il ne me laissait pas d'espace, tenant sans doute assez à notre complicité pour se préoccuper de la raison de ma douleur, si vive par sa faute, par son aveuglement. Pourtant pleinement consciente que ma méchanceté n'aurait pas raison de lui, il me fallait faire diversion au risque de déverser un flot d'informations trop longtemps contenu.

Ce grand amour dont tu me parlais maman, si c'est lui, il doit s'agir d'une blague de très mauvais goût.

Au bord des larmes, prête à contrer l'émotion à grand renfort de moyen, utilisant ma verve pour le pousser à faire marche arrière, je m'élançais déjà : 

Lenny : Tu vois Matt, le voici le problème. Tu pars à la pêche aux informations, tu grattes à la surface et tu t'acharnes à vouloir lever cette carapace que tu découvres petit à petit mais tu es le premier à taire ton passé, à ne rien divulguer et à fuir chaque conversation qui te met mal à l'aise alors ne viens pas me reprocher de ne pas étaler le mien au grand jour et de prendre mes distances. Je considère qu'au point ou en sont les choses tu as largement ta part de responsabilités.

Matt : Tu as besoin d'air Lenny ? C'est bien ce que tu m'as dis ce matin ? Alors rejoins-moi à cette adresse, ce soir, 22h ! Dit-il tout en griffonnant sa pile de post-it avant d'ajouter : Je maintiens que je suis ton ami mais je ne suis pas et ne serais jamais ton souffre-douleur ! 

Lenny : Et je... Je peux savoir où tu comptes m'amener ? 

Matt : Non, si tu tiens un tant soit peu à moi, je ne saurais que te conseiller d'y amener tes fesses. 

Lenny : Et dans le cas contraire ? 

Matt : Tu auras bien plus de temps qu'il ne t'en faut pour t'aérer. Soit en sûre ! Termina-t-il en quittant les lieux alors que je pouvais distinguer sa mâchoire se crisper sous les poids de ses mots. 

Son coeur contre le mien : is it love MattOù les histoires vivent. Découvrez maintenant