La fin d'une epoque

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"Il était une fois..." J'aimerais vous le faire croire, cependant ne vous méprenez pas. Il y a peu d'histoires qui commencent de la sorte et qui se clôturent par "Ils vécurent heureux..." sans la moindre embûche de parcours ceci dit l'histoire n'en est pas moins belle pour autant. Me concernant, j'ai connu, comme tout un chacun, quelques déconvenues, mais si vous le voulez bien, commençons par le commencement.

Je m'appelle Lenny Smith, j'ai soufflé ma vingt-septième bougie cette année, je suis brune et mes cheveux châtains, retombant en cascade sur mes omoplates, sont parsemés de reflets cuivrés. J'ai hérité des yeux verts de mon père et je fais 1m63 pour 60 kilos. Ni ronde, ni maigrichonne, j'ai cette chance d'avoir des formes là où il faut grâce à une pratique sportive quasi quotidienne.

En effet, je cours très régulièrement, j'ai également pratiqué la boxe, de même que la danse classique durant des années, mais ce qui me passionne par-dessus tout, c'est la narration. Écrire, réinventer ma vie à travers divers récits et cela durant des heures, que dis-je? Des jours.

Imaginer la relation fusionnelle que j'aurais pu avoir avec mon père s'il ne nous avait pas quitté le jour de mes 10 ans. "Il n'y a pas de bons moments pour faire du mal à ceux que l'on aime !" m'avait-il dit en montant dans sa voiture, me promettant de revenir, de me donner de ses nouvelles en m'embrassant sur le front. Promesse qui, par ailleurs, n'avait jamais été tenue. Drôle de façon d'aimer.

Imaginer aussi qu'Harper, l'homme que j'avais vénéré, l'homme que j'avais voulu sauver, n'avait jamais fait preuve de cruauté à mon égard, ne m'avait jamais dénigré, ni ne m'avait jamais frappé pour évacuer ses propres démons.

Imaginer que je n'avais pas arpenté si souvent les couloirs de l'hôpital de ma ville natale. D'abord pour panser les blessures qu'il m'avait infligées en mentant outrageusement aux infirmières bienveillantes, mais loin d'être dupes, puis finalement, une ultime fois, pour tenir la main de ma mère qui s'était éteinte il y a plusieurs mois de cela, suite à une longue maladie.

Imaginer enfin que l'envolée de Maman au pays des cieux n'avait pas été si atroce, qu'il ne m'avait été si pénible de lui dire au revoir, de l'entendre, dans un dernier souffle, me dire  "souviens-toi !", sentant ses dernières forces la quitter avant de n'avoir d'autre choix que de rejoindre le domicile familial.

Je pouvais me souvenir de la tension qui s'était emparée de mes muscles ce jour-là, de mes yeux embués, de cette chambre blanche, froide, aseptisée dans laquelle son rire dessinait un arc-en-ciel et où nous avions établi nos quartiers, initialement de façon provisoire.

Tournant la clé dans la serrure, fébrile, j'avais pourtant été heureuse de voir toutes mes angoisses s'envoler une fois le porche dépassé. Par je ne sais quel moyen, elle avait laissé une trace de sa présence. Une chaleur humaine qui se reflétait dans les plus infimes recoins. Libérée d'un énorme poids, je m'étais replongé dans ma mémoire et dans la sienne grâce aux albums photos qui trônaient dans notre salon. Son trésor à elle, c'était sa nostalgie.

Et puis, il avait bien fallu ré-apprendre à vivre, se passer de son parfum, de ses conseils, de ses silences pleins de sagesse aussi, du chocolat chaud qu'elle avait coutume de me préparer lorsqu'elle me savait songeuse. Se résoudre à ne plus l'observer discrètement à travers la fenêtre du salon quand elle me croyait sortie ou pas encore rentrée, virevoltant avec grâce et délicatesse sur les chansons joyeuses qui lui rappelaient sa rencontre avec mon père ou chanter la rage au ventre sur celles qui lui rappelaient son départ. Accepté de ne plus l'entendre me dire qu'un amour me dévorerait de l'intérieur de la plus merveilleuse des façons. Un amour qui n'avait rien de comparable à celui que j'avais cru connaître avec Harper. Un amour auquel je rêvais désormais tout en pleurant à l'idée qu'elle ne puisse jamais faire sa connaissance.

Du point de vue professionnel et jusqu'à l'annonce de son décès, j'étais journaliste dans la gazette du coin, m'occupant de la rubrique des chats écrasés mais, Stanley, mon supérieur hiérarchique m'ayant refusé quelques jours supplémentaires de "repos" au vu des circonstances et des démarches qui m'attendaient, trop concentré sur un bouclage médiocre, avait essuyé ma colère, trop longtemps contenue.

"Si tu le prends ainsi, je démissionne !" avais-je dit dans un hurlement devant mes collègues médusés de cette force de caractère qu'il n'avait jamais perçu en moi.

Désormais j'étais donc une chômeuse, sans attache aucune, passablement stressée à l'idée de ne pas pouvoir bénéficier de la moindre recommandation et terriblement angoissée de ne pas être en mesure de rembourser les traites de la maison. J'en avais parfaitement conscience, le maigre livret d'épargne faisant illusion auprès de mon banquier ne serait pas suffisant pour assurer indéfiniment les dettes qui s'amoncelaient de toute part.

Quelques jours plus tard et tandis que je m'étais assisse dans le canapé moelleux du salon, une bouteille d'eau glacée à la main, revenant d'un jogging qui avait pour but de me vider la tête et dont la mission avait été un échec, mon téléphone se fit entendre : Appelant inconnu ! Etrange...

A l'appareil, une voix protocolaire vrillant mes oreilles m'avait salué avant de rentrer dans le vif du sujet : un héritage important m'obligeait à effectuer un déplacement à New-York et, à cette annonce, je ne pus retenir un éclat de rire sous la nervosité. Il n'y avait qu'elle pour me faire rejoindre la grande pomme, sachant pertinemment qu'il s'agissait de mon rêve et d'une certaine façon elle m'y accompagnerait, en revanche, j'étais dubitative sur l'importance de la succession précisée.

Puisant dans mes dernières ressources pour faire un plein d'essence, je m'étais emparée de mes clés ainsi que d'un sac contenant le nécessaire de vêtements, produits d'hygiène et maquillage.

La ville de mes rêves les plus inavoués me tendait-elle les bras ? J'en avais bien l'impression.

Son coeur contre le mien : is it love MattOù les histoires vivent. Découvrez maintenant