Une nouvelle vie

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Cet après-midi-là, tout en regagnant ma voiture, je fus surprise de trouver sous un de mes essuie-glaces une petite feuille griffonnée ainsi qu'un billet de 10 $ qui ressemblait étrangement, de part son état d'usure, à celui que j'avais encore dans mon portefeuille la veille au soir. Arrachant presque le papier, impatiente d'en découvrir le contenu comme une enfant le matin de Noël, je pus lire :

"N'y vois rien de chevaleresque, tu connais désormais mon aversion pour les Monarques, mais laisse-moi le plaisir de te l'offrir ce café. Si jamais tu t'égares à nouveau... 555-777-8910. Matt."

Un sourire niais aux lèvres, je pianotais déjà sur mon téléphone.

"En vrai, sous tes airs de mauvais garçon, se cache un preux chevalier. Sois tranquille, ton secret est bien gardé. Merci pour tout. Lenny."

Posant le haut de mon crâne sur l'appui-tête, mordillant mes lèvres, rêvant déjà à de chaleureuses retrouvailles, je pris conscience de la réalité qui s'imposait à moi. Je n'avais nulle part où dormir. Je ne cherchais pas plus une auberge espagnole qu'un cinq étoiles mais il me fallait du calme. Rien que ça pour remettre mes idées à leurs places.

Pour autant, ma quête s'était avérée être un tantinet plus périlleuse que prévu dans la ville qui ne dort jamais. Je tournais inlassablement, explorant les rues pavillonnaires autant que les grandes avenues, suppliant le ciel de me venir en aide, lorsque soudain, s'offrit à ma vision éreintée, une épaisse palette de bois brut, surélevée du sol, indiquant ce simple mot : "Bienvenue".

Faisant doucement pivoter mes roues dans cette direction, poussée par la curiosité, je pouvais distinguer à présent un petit chemin arboré au bout duquel se tenait une demeure antique bourrée de charme, transformée en pension. Une quinquagénaire énergique riait à gorge déployée avec plusieurs personnes sur le perron et m'avait accueillie chaleureusement. De sa voix guillerette, elle m'avait donné les informations nécessaires à mon séjour et m'avait quittée devant la porte d'une chambre individuelle, en adéquation totale avec mes propres goûts.

L'épuisement émotionnel étant à son paroxysme, je m'étais alors glissé sous la couette et n'avait rouvert les yeux que le lendemain à 12h. Affamée, ayant sauté le dîner de la veille ainsi que le petit déjeuner donné dans la grande salle de réception mais, prête à accueillir cette nouvelle aventure qui s'offrait à moi. Par le passé, réfléchir ne m'avais jamais empêcher de foncer droit dans le mur. Il me fallait désormais désobéir à cette prudence dont je m'étais cru armée au fil des années. Il me fallait contrarier cette bien-pensance qui m'avait conditionné depuis toujours.

En très peu de temps, j'avais donc trouvé un appartement grâce à l'aide de Lisa, qui avait fait appel à un de ses nombreux prétendants, agent immobilier de son état et qui, par la même occasion, avait négociée mon loyer pour une bouchée de pain. Quant à l'entretien avec Monsieur Gabriel Simons, il n'avait s'agit que d'une formalité. Pourtant loin d'avoir investie mes économies dans une tenue affriolante, il avait de suite validé mon embauche de son regard perçant, me laissant entrevoir un intérêt grandissant pour mon physique, bien plus que pour mes compétences.

Au contact de ces gens formidables, ma mélancolie s'était amoindrie et ma seule raison de ruminer désormais était la déception de ne pas travailler en binôme avec mon graphiste préféré. En effet, Cassidy, jalouse comme un pou, avait affecté un homme en pré-retraite au bras de Matt, le jour même de ma prise de poste, bien plus concentrée sur le fait de nous éloigner l'un de l'autre, que de prendre en considération le droit à la formation de ses collaborateurs.

De mon côté, j'avais hérité pour collègue d'une femme, Hilda, aux allures de bibliothécaire, cachée derrière des lunettes papillonnantes qui lui dévoraient le visage. Je devais pourtant lui reconnaître une qualité, elle connaissait son travail sur le bout des doigts et n'en serait que plus à même de m'apprendre les rouages du mien. Durant les périodes plus douces de nos journées pourtant mouvementées, après manger ou le soir, avant de quitter la Carter Corp, elle avait plaisir à me parler de son chat et, tout en mordillant le capuchon de mon stylo bic, faisant mine de lui prêter une attention toute particulière, mon regard se perdait quelques mètres plus loin.

Appréciant les étirements auxquels Matt s'adonnait fréquemment, dégourdissant ses muscles et mettant à mal mon péché de gourmandise qui ne demandait qu'à être assouvi. Parfois aussi, innocente comme pas deux, je surprenais ses yeux à la recherche des miens ou semblant descendre dangereusement sur mes courbes.

"Ouvre les yeux Lenny, tu lui plais, je t'assure !" M'avait-dit Lisa avant que je ne lui reproche d'avoir eu la langue trop bien pendue quelques semaines plus tôt sur la liste interminable de ses conquêtes. Il m'était simplement impossible de l'envisager, ou plutôt impossible de l'admettre en dehors de l'obscurité de ma chambre à coucher.

Un beau matin, voyant ma mine déconfite suite à une nuit cauchemardesque, il était venu m'escorter, passant son bras sur mes épaules menues pour une pause amplement méritée au cours de laquelle il semblait vouloir me tirer les vers du nez, mais, sans le moindre doute, il n'avait pas pris en considération qu'une agression sonore et visuelle faite femme et montée sur des échasses, interromprait notre échange :

Cassidy : Mademoiselle Smith, vous n'êtes pas rémunérée à distraire vos collègues ça et la.

Lenny : Bonjour Mademoiselle Sparkle. A ma connaissance, il est indiqué dans mon contrat....

Cassidy : Suffit !! J'en ai assez entendu....

Lenny : Pétasse ! Murmurais-je faisant pouffer de rire Matt a mes côtés

Cassidy : Vous dites ?

Lenny : Tisane !! Je vais prendre une tisane !

Cassidy : Sachez que je vous garde à l'oeil Mademoiselle Smith et que...

Ignorant sa diatribe pour lui tourner le dos et insérer mes pièces dans le distributeur, la sentant fulminer alors que je levais les yeux au ciel, j'entendis mon ami lancer à son attention :

Matt : Cassidy, il y a un point que j'aimerais beaucoup éclaircir en votre compagnie !

Cassidy : Oh ! Avec plaisir Matt, fin de matinée dans mon bureau... ?

Matt : Parfait, merci !  

La voyant tourner les talons d'un air satisfait et avec un déhanchement aussi caricatural que vulgaire qui aurait fait de l'ombre à un cartoon, tel que Jessica Rabbit, je tâchais de contenir la rage qui semblait encercler mes tripes avant de lancer à Matt sur un ton amer, chargé de sous-entendu :

Lenny : Alors comme ça, on s'acoquine avec la DRH ?

Matt : Princesse, Princesse....

Lenny : Oui ?

Matt : Petit 1, plus personne n'emploie le mot « acoquiner » depuis les années 50, petit 2, j'ai simplement fais diversion pour sauver tes jolies fesses, petit 3, tu es adorable lorsque tu es jalouse !

Lenny : Matt ?

Matt : Oui ?

Lenny : Petit 1, je ne suis absolument pas jalouse, petit 2, tu mérites bien mieux qu'une poupée siliconée mais finalement si tu apprécies les restes de tes supérieurs, qui suis-je pour te juger, petit 3, le temps t'apprendra que je n'ai besoin de personne pour sauver mes attributs, ceux-là même qui semblent te faire tant d'effets !

A peine avais-je eue le temps de finir ma phrase, tout en lui donnant l'opportunité d'admirer la vue, que Colin était apparu dans la pièce. Le saluant gentiment tout en tâchant de dissimuler mon effervescence, j'avais pris soin de m'éclipser, espérant, à travers la porte, percevoir des bribes de la conversation masculine qui s'annonçait croustillante.

Colin : Règle numéro 1, ne jamais s'amouracher d'une collègue !!

Matt : Oui mais alors pour elle, je pourrais faire une exception...

Colin : Je ne peux que te croire sur parole ! Je n'ai pas eu cette chance que de faire sa connaissance !

Matt : Hey l'ami.... Jusqu'à preuve du contraire....

Colin : Oh, Tout doux bijou ! Tu as bien plus à craindre des sales types de ton étage avant que je n'ai une quelconque chance de me pencher sur le dossier !

D'entendre Matt aussi possessif qu'il était dithyrambique à mon sujet me laissait espérer une évolution entre nous mais combien de temps lui faudrait-il pour se rendre compte que j'étais acquise à sa cause et absolument pas prête à le partager ?

Son coeur contre le mien : is it love MattOù les histoires vivent. Découvrez maintenant