Une quinzaine passa.
Au château du royaume de Norvège, déjeunait la famille royale et leurs convives. Entre deux discussions, les remarques visées et blessantes fusaient innocemment. Les soupirs las en disaient long sur ce que pensaient les uns des autres et les regards échangés laissaient entendre ce que les conversations condamnaient. Enfin, le désintéressement de certains démontrait la fastidiosité des sujets controversés. En soit, un autre de ces chaleureux déjeuners royaux !Cependant, deux individus ne semblaient pas se soucier de ce désordre. En effet, Erle et Nial, situés chacun l'un en face de l'autre, se faisaient de discrètes avances. Si discrètes qu'il était impossible pour les autres de les déceler puisqu'elles avaient lieu sous la grande table. Si l'un d'eux avait posé les yeux sur ce qui se déroulait sous leurs plats, il aurait remarqué que leurs jambes se frôlaient, se caressaient et se touchaient, à l'insu de tous. En réalité, le sourire affiché sur le visage rayonnant d'Erle traduisait facilement la situation mais les membres de la tablée n'y prêtaient guère attention.
Le menton posé sur la paume de sa main droite et le regard planté dans celui de Nial, Erle n'entendait plus les discussions autour. Après des jours difficiles où son père n'avait jamais semblé plus déçu d'elle et où elle avait mené sa sœur vers un sombre destin, la jeune princesse jouissait dorénavant d'un bonheur sans limite, plus communément appelé "amour".
- Erle, l'appela la reine, le sourire aux lèvres et une coupe dans la main.
Légèrement confuse, l'intéressée leva sa tête vers sa mère, tentant de dissimuler son sourire.
- Marie-Anne nous contait vos longues journées de jeux et de balades, poursuivit la souveraine. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Le regard que lançait Amund à Erle et Nial avait captivé la reine et l'avait encouragée à interrompre leurs jeux de regard. De ses petits yeux clairs, elle fixait ses enfants un à un, suspicieuse. La souveraine n'aimait guère que quelque secret se trame à son insu et l'attention que portait Amund à ses frères et sœurs ne lui plaisait pas. Seulement, elle ne pouvait se permettre de contrôler la vie de tous ses enfants, notamment quand c'était précisément ce qu'elle reprochait à son époux. Ainsi, elle se contenta d'attirer l'attention de sa fille.
- Bien sûr, répliqua cette dernière, je lui présente le château et ses jardins. De plus, il est vrai que nous consacrons beaucoup de temps à certains jeux et aux discussions. Néanmoins, je lui en apprends davantage sur notre culture, notre langue et notre patrimoine. Et elle assiste à tous mes cours.
- Ce sont des journées bien chargées, dans ce cas, tenta de meubler la reine.
- Tout à fait, sourit sa fille, d'un sourire crispé.
Elle ne désirait pas entrer dans le jeu de sa mère. La famille royale apparaissait toujours sous son meilleur jour, disciplinée et aimable. Or, elle s'éloignait fortement de cet idéal que les souverains étaient parvenus à forger, au fil du temps.
Pourtant, malgré son envie de se révolter, la jeune femme avait souri... Elle n'avait jamais appris à faire autrement. Cependant, Erle savait pertinemment que cette bienséance ne saurait perdurer. Un jour, sans prévenir, la princesse cesserait de jouer sur les apparences. Un jour, elle aurait le courage. Un jour, peut-être...Elle n'avait pas spécialement d'affinité avec Marie-Anne mais elle l'appréciait. En fin de compte, leurs journées demeuraient, comme l'avait souligné la souveraine, longues. Elles n'avaient pas beaucoup de sujets de conversation en commun hormis son frère, Amund, qui semblait être le centre d'attention de l'Autrichienne. Mais la blonde savait que ce n'était pas réciproque, c'est pourquoi aborder le sujet du prince héritier ne lui convenait qu'à moitié. Ainsi, leurs discussions étaient majoritairement courtes et, malgré les mots qui sortaient de leur bouche, les deux jeunes femmes ne communiquaient pas, à l'image des nombreuses conversations prenant place au château. En effet, elles étaient de parfaites inconnues, l'une pour l'autre, et ne voulaient pas en apprendre davantage.
Erle passait ainsi beaucoup de temps avec Nial, laissant Marie-Anne vaquer à d'autres occupations dont elle se souciait sincèrement peu.
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La Promesse Éternelle
Historical FictionHiver 1664. En ces temps, le Royaume de Norvège connaît de belles années. La famille royale jouit d'innombrables richesses. Pas uniquement matérielles car elle compte de nombreux enfants qui certifient la descendance de la famille royale et un aveni...