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Ils marchèrent longtemps, sans un bruit. Aucun des deux ne parlait, laissant le silence nullement brisé par la vie sylvestre planer. C'est comme si tous les animaux des plus grands jusqu'aux insectes avaient fui vers les souterrains. L'homme marchait donc derrière Witan en maintenant la lanterne en l'air, pour que le chemin leur soit éclairé dans un silence des plus pesants. Pourtant, ce silence si lourd, si prenant, mettait le porteur de la lumière dans un profond malaise. Aussi noir que la forêt et aussi opaque que la nuit, chaque pas était perçu comme une bénédiction.

Au bout de quelques instants, l'homme aperçut quelque chose, au loin : c'est comme si une sorte d'aura multicolore était accrochée à un arbre lointain et émettait sa plus belle lumière. D'ailleurs, plus ils avançaient et plus la lanterne ambrée semblait fade. Dans l'opaque obscurité, la couleur semblait multipliée.

L'homme était troublé par cette apparition étrange ; mais voyant son guide continuer comme si rien n'était arrivé, il se contenta de suivre sans dire quoi que ce soit. Les mots, bien qu'il eut à maintes reprises essayé, ne sortaient pas. Barrière pour barrière, autant ne rien franchir.

Au bout d'un moment, la lumière fut tellement kaléidoscopique qu'elle semblait à leurs côtés ; et c'était le cas. Sur quelques troncs devant eux, la source de l'aura leur était exposé : des sphères de différentes couleurs, de la taille d'une tête humaine, étaient collées sur l'écorce, émettant une lumière douce et rassurante. L'homme s'approcha lentement, comme happé par ces choses incongrues.

« Qu'est-ce donc, se risqua t-il ?

- Ce sont des œufs, lui répondit simplement Witan. »

L'homme se retourna brusquement : comment pareilles étrangetés pouvaient renfermer les prémices de la vie ? Witan ressentit l'incompréhension de son compagnon et explicita.

« Ces œufs appartiennent à une espèce bien étrange de notre monde. Communautaire mais solitaire, les œufs d'une femelle apparaît par dizaines comme par magie. La mère doit s'être absentée... »

L'homme écoutait à moitié ce que lui disait l'animal ; il était bien trop occupé à admirer l'œuf qui se trouvait en face de lui. Toutes les couleurs sans doute étaient représentées par un œuf, mais un seul attirait son attention : un œuf rouge, un peu plus petit que les autres. L'envie de le toucher, de sentir sa chaleur, se mouvements, fut alors irrésistible.

« On raconte que chaque couleur cache un trait dominant particulier, continuait le guide nonchalamment en regardant superficiellement les œufs près de lui. De ce que l'on dit, les jaunes deviennent heureux, les bleus un peu plus tristes que les autres autres, et... »

Il fut coupé par un bruit liquide. Quand il se retourna vers l'homme qu'il accompagnait, il le vit la main en l'air, devant un œuf percé. L'air coupable qu'il arborait résolvait toute la situation. Pa terre, une masse rabougrie gisait.

Witan se rapprocha en courant. L'homme quant à lui, n'osait bouger ; mais soudain, la masse au sol cria d'un son encore inconnue, plus aigu que n'importe quoi d'autre et détala dans la pénombre infinie.

Instantanément, tous les autres œufs perdirent en éclat au point de s'éteindre complètement. L'homme en resta pantois.

« Mais que s'est-il passé ?

- Si tu m'avais écouté, tu l'aurais su ! Parmi tous ces œufs, un seul est destiné à vivre, celui qui, touché par la mère, s'ouvre ; les autres sont destinés à mourir avant de naître. C'est comme si le nouveau-né prenait l'énergie de tous les œufs, tu comprends ? Toi, tu as fait le travail de la mère, qui ne va sans doute pas tarder... Nous devrions partir qu'elle ne nous trouve ! »

L'homme comprit à ses mots l'étendue de son erreur. Alors qu'ils fuyaient en courant et qu'un énorme cri retentissait derrière eux, il se demanda ce qu'il adviendrait du petit qu'il avait fait naître.

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant