XVI-

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 L'homme avançait de plus en plus vite, inconsciemment sans doute. Ses pas se faisaient de plus en plus grands, reflétant tout le trouble qui l'étreignait. Cela devenait dur. Il ne savait plus si ses nerfs manquaient à chaque instant de lâcher ou si l'accoutumance finirait par l'atteindre avant la crise. Depuis son entrée dans la forêt, il se contenait, il tentait d'expérimenter toutes ses rencontres avec le plus de détachement possible, sans qu'il n'y parvienne totalement. Comment le pouvait-il ? Il commençait à faiblir, son caractère normalement impassible et froid ici ne parvenait pas à maintenir sa suprématie maligne. Plus il avançait, plus il subissait, et il savait que ça n'allait pas en s'arrangeant ; alors aller le plus vite possible, peut-être était-ce la solution la plus viable.

Le silence, encore et toujours, rythmait la marche de son écho inexistant. Les pas ne faisaient qu'un léger son molletonné, assoupli par la terre, l'herbe et les feuilles mortes et douces. A peine pouvait-on entendre la marche rapide de l'homme, et les pas aériens de Witan qui suivait derrière. Ce silence, seul compagnon fidèle de cette marche n'était presque jamais interrompu par la vie sylvestre, au plus grand bonheur de l'âme solitaire qui tenait la lanterne.

Pourtant, toute compagnie se fait éphémère, et un bruit de gravier retentit soudain sous le pied de l'homme. Ce crissement tonna en échos lointains un long moment durant, alors même que les deux compagnons étaient déjà loin. Puis une nouvelle fois ce bruit se fit entendre, puis encore, puis encore. A chaque pas ce crissement se multipliait, l'écho devenant progressivement brouhaha. C'était comme si l'homme marchait à présent sur une plage de petits galets. L'âme solitaire supportait de moins en moins ces échos incessants.

Au bout d'un moment, dans un excès d'impatience, l'homme s'arrêta brusquement et se baissa pour éclairer le chemin ; et un scintillement coloré émergea du sol. Les éclats rouges, bleus, verts se mélangeaient à la lumière de la lanterne et l'homme fut stupéfait de voir que le sol était jonché de pierre précieuse, comme la rivière d'un monde imaginaire lointain. Les crissements étaient scintillants.

Intrigué, l'homme reprit sa marche, allongeant toujours le pas, mais cette fois-ci poussé par la curiosité ; cette curiosité qui l'avait maintes fois pris dans cette forêt, et qui persistait dans son effet. Plus il avançait, et plus les pierres étaient nombreuses. Elles inondaient le chemin, le submergeaient dans une vague lumineuse et éclatante. L'homme ne courut cependant pas.

La vague brillante montait figée par les pierres précieuses, et l'homme dut bientôt escalader un tas immense dont le sommet était caché par l'obscurité ; ses yeux ne pouvaient pas apercevoir le grand magicien qui créait tant de richesses. Il finit cependant par atteindre le sommet : en haut, un homme sur une chaire trônait. Mais sa couronne manquait, tout comme sa prestance, qui était remplacée par une posture et un air accablé. Ce roi déchu semblait au bord des larmes.

L'homme eut à peine le temps de récupérer de sa longue montée qu'un être apparut, regardant le roi avec avidité. Celui-ci, devant cette compagnie retrouvée, sourit et ouvrit les bras, appelant à l'amitié et la discussion, mais l'être ne fut pas de cet avis : sitôt qu'il aperçut sur les jambes pliées du roi un monticule d'émeraudes, il se jeta sur lui et s'empara de ce butin brillant, avant de disparaître en bas de la colline. Le roi, blessé et à nouveau seul, baissa les bras et se mit à pleurer ; mais ce n'était pas de chaudes larmes d'eau salée qui coulait le long de ses joues, mais bien des rubis et des saphirs. Aussitôt que ces lourdes larmes touchèrent le sol dans un son cristallin, des cris se firent entendre et partout des êtres inconnus apparurent. Le roi s'en retrouva assailli et submergé. Tous cherchaient de leurs mains à récupérer la moindre larme. Une fois leur butin mis de coté et bien protégé, ces êtres disparaissaient comme le premier. Une fois abandonné, le roi n'eut plus la force de pleurer ; mais qui sait si la faiblesse de l'être profondément solitaire pourra retenir longtemps les larmes sincères du cœur. L'homme ne voulut cependant pas voir à nouveau cette scène ; il n'en avait pas la patience et le cœur. Comment le pouvait-il, d'ailleurs ?

Mais, alors que le roi pleurait encore des larmes précieuses, une larme liquide, une unique, coula sur sa joue et tomba sur le sol. Pendant un instant, le temps sembla s'arrêter, et le roi regarda ahuri cette goutte se diriger irrémédiablement vers la terre par la gravité. Tout d'abord, cette larme s'écrasa comme tant d'autres avant elles chez tant d'autres gens, et sembla aspiré par le sol ; puis dans une arabesque de lumière, jaillit de cette eau triste une petite fée bleue, lumineuse, brillante. Pour le roi, ce fut sans doute la plus grande richesse, cette petite fée voletante, au-delà de l'or ou de pierres précieuses. Cette nouvelle richesse protéiforme fasciné le pleureur qui maintenant crachait de ses yeux des pierres de bonheur. L'homme soupira alors. Tous les types de richesse ne rendent pas heureux, ne donnent pas de véritable raison de vivre. L'amour dépasse la richesse, emporte tout, et l'amour que porta immédiatement le roi à cette petite créature frêle et volante balaya en un battement de paupière toute autre considération, toute autre vision de la vie.

L'homme n'avait plus rien à faire ici. Tout ce qu'il devait voir était vu. Laissant alors le roi à son nouvel amour, il dévala rapidement la pente empruntée par maints intéressés, maints opportunistes avant lui. Il ne se retourna d'ailleurs pas, mais sa lanterne levée vers l'avant, il continua à avancer.    

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant