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Le silence est parfois consternant. Source de calme, une étrange impression de malaise s'y installe facilement ; chaque mot refoulé, chaque phrase engloutie dans les tréfonds de l'inexistant appuie et en force la frontière ; alors dans une forêt où l'obscurité règne, la duplication du sentiment est fatal.

Presque aucun mot ne fut échangé entre l'homme et son guide après leur course, ou plutôt leur fuite. Il avait bien essayé de le questionner sur l'avenir de l'être nouveau-né, mais l'animal ne bronchait pas et feignait l'oreille sourde ; peut-être était-il fâché. En ces circonstances, la marche silencieuse était inévitable. Parfois, des petites traces de griffes sur des troncs ou des grattements de terre changeait le paysage monotone des arbres. La lanterne éclairait toujours d'une lumière dorée.

Autre chose finit par briser la monotonie de la marche : des bruissements sourds. Certes lointains, leur cadence lente se rapprochait de seconde en seconde. Witan s'arrêta et dressa ses oreilles, en alerte. L'homme attendait.

« Libérons le passage et cachons-nous ; l'animal est farouche, et s'il nous voit, je ne garantis pas son calme, dit le guide en entraînant l'homme dans les proches fourrés. »

L'autre suivit sans rien dire. Tous deux s'enfoncèrent dans les branchages feuillus, tout en veillant à ce que la lanterne soit cachée de sa lumière. Pendant ce temps, les pas se rapprochaient inexorablement.

Tout-à-coup, au détour d'un tronc, une forme lumineuse apparut : c'était un tigre blanc ailé, luminescent par son poil, et majestueux par sa prestance. Il était plus grand qu'un éléphant, si bien que son immense tête féline devait faire la taille complète de son spectateur humain. Caché par les feuilles, celui-ci d'ailleurs regardait à travers un petit interstice.

La bête ne s'arrêta ni ne broncha. Il leur passa devant avec la majesté d'un roi et disparut bientôt dans les profondeurs de la forêt nocturne.

L'homme ne questionna pas son guide sur cette apparition : il l'avait reconnue. Animal imaginaire, compagnon des plus belles aventures et des contes, il était sans hésitation la création d'un enfant, un fruit d'une œuvre créative ; d'ailleurs, il avait cru apercevoir sur le dos de l'animal imaginaire un jeune garçon, profondément endormi. Quand le tigre fut parti pour de bon, c'est le visage fermé que l'homme se leva et récupéra la lanterne. Il n'attendit d'ailleurs pas son guide pour continuer la marche. Derrière lui, Witan sourit d'un air triste, et rattrapa l'homme en quelques bonds.

« Sais-tu que les rêves ne nous marque pas de façon éphémère ?

- Je sais, répondit l'homme le visage toujours hermétique. Mais ce ne sont que des illusions.

- Par la voie positive ou négative, ils nous transmettent beaucoup de leçons.

- En quoi peuvent-ils être positifs ? Ils ne font que promettre des choses que l'on aura jamais.

- Les rêves ne sont pas des promesses tu sais... Ils ne font que montrer nos désirs. N'as-tu jamais été heureux en rêvant ? »

L'homme eut un sourire amer. Un court instant, ses yeux devinrent vides.

« Quelques fois si... Mais toujours ma vie finissait pas s'y immiscer. Enfant, adolescent, adulte, jamais je n'ai eu de repos. »

Et tous deux continuèrent à marcher.

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant