III-

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Mais bientôt, ils rencontrèrent un enfant ; l'homme en eut la certitude, c'était le même être qui dormait sur le tigre ailé. S'était-il fait abandonner par sa création ? Peut importait. Toujours est-il que l'enfant était adossé à un arbre, tenant dans ses bras une petite boule poilue et lumineuse, aussi légère que le vent ; sa main droite ne cesser de caresser le poil aérien. Les deux compagnons s'arrêtèrent et regardèrent en silence pendant un instant.

« Il a l'air triste, dit l'homme sans se détacher de l'enfant... Son regard est si mélancolique, ses gestes si lents....

- C'est un enfant de la forêt. Des âmes abandonnées ; celui-ci par son père. Alors, leur lumière s'extériorise et le quitte peu à peu.

- Peut-on faire quelque chose ?

- Rien qui puisse l'aider... Le mieux est de passer notre chemin. »

Et ils passèrent devant sans même lui parler, non sans un regard en arrière.

Ils ne tardèrent pas à arriver à un village incongru, ou plutôt un hameau perdu entre les arbres. Il peut paraître étrange que quelques maisons puissent se trouver là, disséminées en cercle. Pourtant, il est plus étrange encore qu'il soit habité et davantage le sont ses habitants.

Quand ils entrèrent dans le hameau, l'homme ne remarqua d'abord rien. Son herméticité s'était atténué, mais il restait pensif ; il ne remarqua pas les maisons dès leur apparition dans son champ de vision, mais seulement quand il traversa l'enceinte de vie. Ce qu'il vit, ce sont des gens vacant à leurs occupations ; il en salua d'ailleurs quelques-uns, un seul répondit d'un geste de la main. Cependant, Witan lui déconseilla.

« Ce village est maudit, on ne sait comment, on ne sait pourquoi. En tout cas, il sont condamnés à reproduire constamment la même action, en boucle, jusqu'à leur mort. Regarde celui qui t'as répondu. »

L'homme tourna la tête en sa direction et vit son interlocuteur d'un instant levait et baissait la main avec un sourire franc.

« Celui-là ne te répondait sûrement pas ; il devait sans doute le faire au moment où la malédiction est tombée... a cette femme, assise sur un banc. »

Il regarda autour de lui et s'aperçut alors de ce dont parlait Witan. Tous, femmes, hommes et enfants étaient bloqués dans une action infinie : un coupait des légumes maintenant pourris devant chez lui, un autre des tronçons de bois déjà fendus, ou encore arrosait une fleur avec un arrosoir depuis longtemps vides. Condamnés.

L'homme et son guide traversèrent le village , maintenant voilé de froid et d'effroi. Tous les yeux des habitants, emplis de naïveté et peut-être, tout au fond de détresse, glaçait n'importe qui pouvait les regarder.

Alors qu'ils longeaient une petite bâtisse, Witan regarda dedans grâce à une fenêtre ouverte et dit :

« Tu vois, tous ne sont pas condamnés à l'éreintant ; ce monsieur par exemple dort profondément, en ayant aucune conscience de ce qui lui arrive

- Quelle est la différence ? Être condamné à dormir, c'est être condamné à l'inconscient, à l'inactif. Il n'est pas vraiment maître de lui-même.

- Ne vaut-il quelques fois pas mieux ne rien savoir ?

- Peut-être. Mais le monde de l'inconscience est souvent dangereux pour qui s'y aventure...

- Et cette femme pleurant devant chez elle, déclara alors le guide alors qu'ils passaient devant la dernière maison du hameau, n'aurait-elle pas préféré le monde dont tu parles ? Les sentiments qu'elle traverse sont si violents... »

L'homme regarda quelques instants la femme. Son air hermétique revint alors.

« les sentiments sont soit subis, soit attendus. Les hommes ont souvent tendance à chercher des sentiments et à crier au sort. »

Witan secoua la tête en signe de désapprobation, mais ne répliqua mot. Simplement, il lui montra un jeune garçon s'enfonçant dans la forêt, puis revenant à reculons jusqu'à une fenêtre de la maison grande ouverte, à l'infini, un gros sac sur le dos.

« Coup du sort, destin, parcheminier, appelle cela comme tu le souhaites et dirige tes mots où bon te semble. Cependant, sache que les hommes sont dépendants des autres hommes ; même en ce qui concerne les sentiments. »

Le garçon continuait perpétuellement son mouvement de fuite. Les deux compagnons le suivaient du regard, l'un avec calme, l'autre avec une angoisse dissimulée.

« Va t-il rester enfermé en ce lieu pour toujours, dans une boucle perpétuelle ?

- personne ne peut rester enfermé indéfiniment, répondit Witan. Bientôt, son envie d'aventure le rattrapera, et là ... »

Et l'enfant bougea encore. Pourtant, on ne sait pourquoi on ne sait comment, il était détaché de ses chaînes ; et il put s'enfuir, pour de bon cette fois-ci, dans la forêt sombre. Witan le regarda s'enfuir, imperturbable dans son calme ; mais l'homme, dans son angoisse grandissante, en fut fortement perturbé. En voyant la silhouette, il ne put soutenir sa position, il ne put garder son calme ; et une course démarra dans la nuit noire. Il en lâcha d'ailleurs la lanterne. Le guide, quant à lui, ne semblait pas vouloir suivre.

Pourtant, il y voyait : ça et là, des fleurs relâchaient des spores fluorescents, éclairant le chemin de racines. Comment ? Pourquoi ? Il s'en occuperait plus tard ; pour lui, l'enfant comptait avant tout. Plus rien ne comptait à part lui.

Lanterne ou sac à dos, à chacun son handicap. L'un comme l'autre enchaînait les pas avec une rapidité incertaine ; mais l'homme avait une volonté inébranlable. Peu à peu, la distance les séparant s'amoindrissait. Au point de presque le toucher.

Mais quand ses doigts purent enfin attraper l'épaule du garçon, une masse provenant de la droite le propulsa dans les fourrés ; et le garçon poursuivit sa fugue sans être plus importuné.

L'homme se releva tel une furie en envoyant valser les feuilles, les traits déformés par la colère, cherchant celui qui avait perturbé son effort. Aussi, quand il vit son guide la lanterne dans la gueule, le regardant toujours aussi calmement, le coup fut difficile à retenir.

« Mais qu'as-tu fait ? J'étais capable de l'arrêter !

- Je fais ce pour quoi je suis là, avec toi, puisqu'il semblerait que tu n'aies pas bien compris ton rôle dans cette traversée. Tu dois te contenter d'observer. Observer, comprends-tu ? »

L'homme serra les points.

« Je voulais simplement... simplement...

- Changer les cours des choses ? Elles sont maintenant écrites à l'encre indélébile, plus rien ne pourra dévier.

- Je sais, mais, j'ai cru que... que je pouvais changer les choses au moins une fois...

- L'espoir n'est dans ce monde pas de mise. Toi qui avais fini par te résigner, j'ai cru que tu l'avais compris. »

Les deux personnages se regardèrent d'un air de défi. Witan, dans sa robe blanche, resplendissait dans la nuit noire. La lanterne, à côté de lui, semblait être amoindrie dans sa lumière, comme pour lui laisser la place.

L'homme ferma alors les yeux et desserra les poings. Un long soupir sortit de sa bouche.

« Bien, continuons. »

Et il ramassa la lanterne avant de reprendre la marche.

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant