IX-

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Ils ne tardèrent pas à apercevoir au loin une faible lumière : c'était une maison perdue dans les bois. Witan la regarda dans sa marche quelques instants, et sourit.

« Je crois qu'il est temps de faire une petite pause. »

L'homme ne s'y opposa pas ; marcher devenait de plus en plus pénible. Aussi, cette apparition fut perçue comme une bénédiction ; mais il le savait à présent : tout ce qu'il croisait se déclinait. Comment ne pas pincer les lèvres en ce cas ?

De loin, la maison semblait délicieuse, avec sa couleur qui aurait pu s'apparenter à du pain d'épices ; mais plus on s'approchait et plus les trous, les fissures, les aspérités apparaissaient. C'est comme si à chaque nouveau pas, la bâtisse laissait entrevoir un peu plus ses faiblesses ; et alors la maison était repoussante tant elle était pauvre.

Devant ce changement de décor, l'homme ralentit le pas, au bord de rebrousser chemin. Cependant, Witan n'y prêta guère attention et traça son chemin avec nonchalance et presque désinvolture jusqu'à la porte. Levant la patte et du bout des griffes, il y frappa trois coups. Trois coup qui un instant se perdirent dans le silence d'entre-les-arbres.

Ils finirent pourtant par trouver expéditeur : derrière la vieille porte déglinguée on bougea, des voix s'élevèrent et des pas résonnèrent. Juda ouvert, sitôt refermé. Puis la porte s'entrebâilla, laissant apparaître dans la fente lumineuse une belle tête de chien roux.

« Qui êtes-vous pour tonner par une si tardive heure et qui plus est dans cette sombre forêt ?

- Nous sommes deux voyageurs, répondit Witan, et nous cherchons simplement l'hospitalité pour un repas.

- Votre étoile vous a bien guidé, nous nous apprêtions à nous mettre à table. Entrez, cela brisera la monotonie ! »

Et ils entrèrent. La porte laissa apparaître une salle unique mais chaleureuse, bordée par une immense cheminée ; à l'intérieur y trônait une marmite noire. Les deux voyageurs suivirent le chien jusqu'au feu. Bien que l'air de la forêt ne fût pas froid, la sensation du feu sur la peau fut réconfortante et douce. C'est comme si par cette sensation, ils quittaient pendant un instant leur longue marche. A coté d'eux, le chien attendait, assis.

« A qui ai-je eu l'honneur d'ouvrir ma porte ? »

Les deux voyageurs se présentèrent.

« Et quel est le nom de notre hôte ?

- Solusa, maîtresse de cette maison. Mon mari , que nous devons attendre pour servir le repas, ne va pas tarder à rentrer. Son travail peut être quelques fois chronophage... »

Ils sourirent tous trois ; et comme la queue du loup n'est jamais loin, la porte s'ouvrit soudain sur un chien noir, l'air fatigué et le poil ébouriffé. Une bourrasque de vent s'engouffra alors dans la pièce, faisant vaciller la flamme dans l'âtre. Sans dire mot ni accorder un seul regard, il se dirigea vers la table et s'y assit. Le silence avait régné depuis que la porte fût fermée, et il sembla sur le point de durer encore un long moment ; mais Solusa, en bonne hôte, se hâta de diriger les invités à la table et de servir le repas. Une fois les assiettes remplies, le silence s'installa une nouvelle fois. Chaque personne regardait son assiette avec honte, comme si elle gênait ; seul le mari mangeait goulûment. Il s'arrêta cependant pour jeter un regard linéaire et suspicieux.

« Qui c'est ?

- Ils ont toqué il y a quelques temps pour demander l'hospitalité, s'empressa de répondre Solusa, je ne pouvais pas leur refuser, au vu de l'endroit où nous vivons... Et puis, je me suis dit que cela pouvait nuire à mon ennui.

- Je t'ai dit de ne pas laisser entrer n'importe qui, surtout ici. Ne le prenez pas mal, vous n'avez pas l'air agressif, quoi que.

Un regard noir fût lourdement jeté sur le chien. Solusa s'empressa de l'excuser.

« C'est que je passe ma vie toute seule qu'à ton retour à la pointe du jour, enfermé entre ces murs, moi ! Je me suis dit qu'un peu de visite ne ferait pas de mal.

- Encore ce sujet ! Il faudrait changer de disque, le tien est rayé !

- Mon disque est pourtant légitime ! Je sais que ce travail, tu le fais pour que l'on subsiste, mais je ne te vois plus ! Et puis, tu as beaucoup changé ces derniers temps... Tu n'es plus un chien, tu es devenu un loup, un loup solitaire... »

Solusa remarqua alors à travers un coup d'œil que, dans sa fougue, son rôle d'hôte avait été fissuré. Le mari, imperturbable, finit son assiette en appesantissant le silence régnant une nouvelle fois ; puis il se leva sans accorder de regard.

« Je sors. »

Et sans rien ajouter, il prit la porte.

L'homme n'osait lever les yeux, jouant du bout de la cuillère avec la nourriture de son assiette. Il ne put donc pas voir le poil roux de Solusa migrer doucement vers le pourpre, couleur de la colère et de la honte. Plus rien ne fut échangé à partir de ce moment à part quelques excuses confuses.

Quand les deux voyageurs reprirent leur route, lanterne en avant et mâchoires tendues, il n'avaient pas touché à leurs assiettes, sans doute un peu mal à l'aise. Ou peut-être que dans ce monde, la nourriture n'existe plus.

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant