VII-

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L'homme marchait devant, distançant volontairement son compagnon de trois bons pas ; peut-être lui en voulait-il encore pour ne pas l'avoir mis en garde contre son impact sur ce monde. Aussi Witan avançait dans la pénombre, mais cela n'apparaissait pas comme un problème : il sautillait au-dessus des racines avec une agilité déconcertante, malgré l'opacité noirâtre, comme s'il savait parfaitement où se trouvait quoi ; mais l'homme ne remarquait pas ce détail, enfermé la tête en avant dans ses pensées nocturnes. Un froid s'installait doucement.

« Tu ne devrais pas être si borné... tu n'en as plus le droit, dit au bout d'un long moment Witan.

- Je pense avoir le droit d'avoir un temps pour réfléchir !

- Mais tu n'en as plus, c'est bien cela le problème... »

L'homme ralentit instinctivement le pas, laissant le champ libre à Witan pour se mettre à sa hauteur.

« Penser à cela maintenant revient à devoir tout recommencer, et je refuse de le faire. Avançons encore, c'est le mieux à faire.

- Pourquoi Witan ?

- Je n'ai pas de réponse à cette question, malheureusement... »

L'homme, sans trop y croire, finit par suivre les conseils de son compagnon, plus poussé par un élan extérieur qu'un élan intérieur. Il se tut un long moment, tenant toujours la lanterne où une fine fleur de givre commençait lentement à pousser.

Ils marchèrent encore de longues minutes, dans un silence glacial ; mais il semblait qu'à chaque pas posé sur le sol, l'homme hiver s'emparait de l'air et du sol. Cela se fit doucement, sans brusquerie. Les deux compagnons commencèrent à expirer une buée de plus en plus dense, et ressentirent sur leur peau un léger vent froid. Les troncs, si protecteurs habituellement, semblaient des passoires.

Le vent sifflait dans les oreilles de l'homme, qui tentait de se protéger du mieux qu'il pouvait avec les maigres vêtements qu'il portait sur lui. Il maudissait ce vent et ce givre sur la lanterne qui en faiblissait l'éclat. Moins il voyait et moins il entendait.

Ce sifflement qui lui caressait agressivement les lobes faisait taire tout autre bruit, tellement celui-ci prenait de place dans l'ouïe de l'homme, si bien qu'il n'entendit pas le brouhaha pourtant très fort qui montait avec l'accumulation des pas. Pour lui, ce n'était que le son du vent dans les feuilles des cimes. Il fut alors bien surpris de voir apparaître en face de lui une véritable horde d'écureuils, disposés en cercle entre deux troncs, et débattant d'une manière peu organisée sur un problème visiblement grave.

Le vent semblait se calmer, à tel point que les oreilles se libérèrent de son emprise et purent se concentrer sur ce capharnaüm. Après l'épisode du lampadaire, l'homme ne se cachait même plus : il avança entre les petits animaux, tentant de démêler chaque voix dans sa singularité, en vain. Tout ce qu'il comprenait était que ces écureuils s'étaient réunis pour remédier à un problème de survie ; autant dire qu'il n'était pas très avancé. La seule chose qu'il arrivait à cerner était l'immense panique qui les habitait tous, comme une maladie contagieuse.

Longtemps le vacarme persista, et l'homme crut perdre patience à plusieurs reprises ; il avait même pensé à reprendre son chemin, mais chaque fois que l'idée l'effleurait, le son baissait drastiquement, laissant entrevoir un mince espoir de compréhension, avant de repartir de plus belle.

Soudain, une grosse voix, sortie de nulle part, retentit entre les troncs, et tout le monde se tut. Sorti de nulle part, apparaissant comme par magie, un écureuil blanc et plus gros que les autres se frayait un chemin entre ses congénères. Tout les animaux s'écartaient pour le laisser passer, jusqu'à ce qu'il arrive jusqu'aux pieds de l'homme. Tout le monde pendu à son silence, y compris l'homme.

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant