XVII-

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La rivière d'émeraude et de saphir accompagna longtemps les deux compagnons dans leur marche, semés par la tristesse il y a bien longtemps maintenant ; pourtant, l'homme l'aurait juré, ces pierres gagnaient en éclat, elles scintillaient davantage à la lumière de la lanterne. Cela donna un maigre sourire à cet homme qui avait vu naître la fée dans les larmes d'un roi ; mais bientôt, et ce fut inévitable, ces pierres précieuses se disséminèrent puis s'estompèrent complètement après quelques pas, et le chemin redevint terreux et opaque.

L'homme n'aurait su dire combien de temps il marcha encore, il ne parvenait pas dans cette forêt à garder la notion du temps, comme si elle s'échappait par l'orée. Toujours est-il que la lanterne éternellement levée vers l'avant, il marchait encore et encore, maintenant plus lentement.

La pénombre était telle qu'à peine il pouvait voir ce qui advenait à plus de deux mètres. La nuit noire engloutissait tout comme une bête gourmande, constamment à la recherche de nourriture ; mais la lanterne, asséchant cet avis comme un chaud été, persistait dans son rôle d'héroïne.

Mais cette bête gourmande, tapie dans son antre aussi sombre qu'elle, attendait et cachait des pièges pour mieux manger sa proie. Elle qui avait toujours su, à force d'usure, venir à bout de toutes les âmes protégées par des bougies, semblait impuissante face à cette lanterne victorieuse qui bravait son antre à chaque pas supplémentaire de l'homme. Fière, celle-ci montrait la voie autant qu'elle la protégeait. Cependant, les bêtes les plus calmes sont aussi les plus dangereuses, et cette pénombre avait déjà préparé son piège ; et ce piège avançait à grands pas.

Ce piège, même la plus brave des lanternes n'aurait pu le désamorcer, tant l'obscurité y était forte ; l'homme y allait d'ailleurs comme un oisillon naïf. Pourtant, la lanterne n'était pas la seule à protéger l'homme de la forêt obscure, et bientôt la voix de Witan tonna dans le silence obscur.

« Homme, ne fais pas un pas de plus ou le gouffre t'engloutira ! »

L'homme arrêta son pied dans le vide : devant lui une rivière profonde d'obscurité se déployait. La lanterne, en bonne guide, éclairait les arbres de l'autre coté de ce trou béant, mais les trois compagnons ne pouvaient ici sauter simplement, comme de simples cabris. Ils étaient coincés. Il fallait faire le tour.

Cependant, un petit homme sortit d'entre les arbres avec une longue barre. Il était habillé comme un gymnaste, les main fardées de blanc et les pieds habillés de chaussons. Il s'avança jusqu'au bord du gouffre, et considéra le vide qui s'étendait devant lui.

« Ce funambule va nous montrer la voie, dit doucement Witan. Regardons-le faire, et nous l'imiterons par la suite. »

Le petit funambule tâta une corde tendue au-dessus du vide, et, tendant sa perche à l'horizontale devant lui, commença à avancer. Il n'avait qu'une dizaine de pas à faire pour atteindre la rive et son agilité pouvait tout lui permettre, l'homme en était sûr. On aurait dit dans ses premiers pas un singe agile des forêts tropicales, malgré quelques petites pertes d'équilibre.

Puis ce fut la perte d'équilibre de trop : le pied dérapant sur la corde tendue, le funambule vacilla un moment, et à à peine trois pas de la terre, tomba dans le gouffre. L'homme ne put qu'écarquiller les yeux en amorçant un geste vers le malheureux, mais il n'eut ni le temps ni la fin du geste, et ce qui avait un gymnaste auparavant ne devint qu'obscurité. La pénombre l'avait mangé avec une avidité monstrueuse.

Pendant un long moment, Silence et Noirceur envahirent le moindre espace libre de la forêt, ne laissant aucun répit à l'homme qui regardait inlassablement le gouffre à l'endroit où le funambule avait disparu. Il finit par dire en riant jaune que jamais il ne traverserait de la sorte ce gouffre dévorateur.

Pourtant, cette forêt a assez prouvé sa magie ; et comme par enchantement ou peut-être par efforts surhumains, une silhouette floue se dessina sur la falaise opposée, en habits de gymnaste et aux mains fardées de blanc. Le funambule ressuscité atteint bientôt la terre ferme et horizontale, dans un râle terrible ; mais il avait réussi, il avait traversé ; et joyeux mais ayant perdu sa perche, il s'enfonça en sautillant entre les troncs de la forêt sombre. Quand on a une raison de vivre, basculer dans la mort devient impossible. S'accrocher, et prier.

L'homme fut plus interloqué qu'amusé de cet évènement. Il avait beau tenter de comprendre rationnellement, mais rien ne pouvait lui venir en tête. Il fallait seulement avancer en ne cherchant pas vraiment à comprendre le pourquoi du comment, il fallait voir et apprendre.

« Il vaut mieux avancer à présent, finit par dire Witan. »

Et il sauta lestement en une grande enjambée le petit, si petit gouffre ; l'homme finalement, avec un peu d'élan, put facilement le traverser aussi. Il ne put d'ailleurs réprimer un sourire devant tant de grotesque ; et enfin, ils continuèrent leur marche qui commençait à s'épuiser.  

Marche de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant