Magical Doremi : Le peuple oublié

Chapitre 18

Ne vous est-il jamais arrivé d'un jour rêver que vous revivez une scène de votre passé ? Revivre le meilleur comme le pire ? Cela pourrait être amusant, penseront ceux qui ne l'ont jamais vécu. C'est cauchemardesque, diront ceux qui ont déjà eut cette impression de déjà-vu. Dans mon cas, je n'avais pas le choix, puisque je devais sauver mon monde grâce à mes souvenirs. De lointains souvenirs que j'aurais voulu ne jamais me rappeler…
Quel cauchemar !

« Maggie ? Maggie ?! »

La jeune fille leva la tête vers le mouchoir qu'on lui tendait. Aux pieds de son interlocutrice, un petit dragon somnolait, prêt à s'endormir dès que le marchand de sable fera son travail.

« Tu sais, ça arrive à tout le monde. Tu n'as pas à t'en vouloir. » répéta encore Heart d'une voix posée. « Je connais des sorcières qui ont raté bon nombres de leurs examens. »
« Mais tu ne comprends pas, ça m'énerve ! Il faut toujours que je rate le plus important ! Cet examen était l'examen qu'il ne fallait pas rater ! C'est celui qui te permet d'avoir une fée ! T'entends ? Une fée ! »
« Chuut… Tu vas la réveiller…  » Heart vérifia que le dragon miniature n'avait pas ouvert l'oeil. «  Pas la peine d'en faire tout un drame. »
« Facile à dire pour toi, tu as laissé tomber la fée pour avoir un dragon. »
« Cette dragonne ne m’appartient pas, je suis évaluée là-dessus pour accéder à mon métier. Après, elle devra retrouver sa liberté. Maggie, toi tu pourras refaire ton examen autant de fois que tu veux, moi je n'ai qu'une seule chance. Et jamais de ma vie je n'aurais l'occasion d'avoir ma propre fée. »

Ce pincement au coeur lorsque je lui avais dit ça. Je ne l'avais pas remarquée sur le coup, mais mes pleurnicheries l'avaient irrité et aussi chagriné. Ne jamais avoir de fée pour soi… Géritout a toujours été une femme courageuse… Oh, et ce fichu dragon, je l'avais complètement oublié !

Maggie se leva et dirigea son regard vers la fenêtre, qui ouvrait sur le paysage du royaume des sorcières. Ce royaume, elle n'en avait jamais dépassé les frontières. Il fallait dire qu'au-delà du royaume des sorcières, les terres du monde magique étaient hostiles et n'offraient pas beaucoup de chance de survie aux apprenties comme elle. Et puis, quitter le royaume des sorcières était aussi se diriger vers celui des magiciens. Et berk, ces magiciens ! Des ratés qui ne pensaient qu'à infliger le mal aux sorcières. Elle n'aimerait jamais en croiser, et si un jour elle en avait le malheur, elle les massacrerait ! Heart et Maggie étaient amies depuis bien longtemps. Maggie n'avait jamais prêté attention à elle jusqu'à leur premier jour de leçon dans le but de devenir sorcière. Elle l'avait marquée par sa volonté de s'occuper des enfants et non de devenir une sorcière comme les autres, et puis, Heart avait toujours eu quelque chose en plus, comme une étincelle dans les yeux, une  maturité qu'il ne fallait pas mettre de côté. Les deux fillettes avaient tout de suite sympathisé, et depuis, elles étaient amies. Même si leurs destinées seront différentes, la sorcière à la robe verte espérait qu'elle gardera toujours un bon contact avec l'éleveuse de dragon.

Mais pour le moment, ce qui intéressait le plus Maggie était de sortir d'ici. Elle voulait prendre l'air, oublier cet échec cuisant et tâcher de s’entraîner pour mieux faire la prochaine fois. Elle voulait vite rattraper son retard et devenir une sorcière certifiée. Non que cela était son rêve, mais cela était surtout pour ne pas se faire humilier ou de se faire passer pour une ratée aux yeux des autres. Bon sang, elle avait plus que les capacités de devenir une sorcière, elle savait ce qu'impliquait ce statut et savait que les humains étaient la pire chose qu'existait au monde avec les magiciens. Il n'y avait rien d'autre à ajouter. Tout ce qu'elle voulait, c'était une vie de sorcière ordinaire, sans tracas, sans mauvaises aventures. Se faire de l'argent, avoir une vie tranquille en solo avec une fée qui lui tienne compagnie, et rien d'autre. Penser que cela était manquer de volonté n'était peut-être pas la meilleure façon de réfléchir à la question d'être une sorcière populaire. Cela impliquait aussi des responsabilités, de soigner son apparence et de sourire aux gens. Sourire… Maggie détestait ça ! Leur offrir le reflet de leur hypocrisie, ah ça non !

« Je m'en vais. » Dit Maggie à son amie en levant la main pour lui dire au revoir.

Elle passa la porte et sentit l'air frais toucher son visage. Elle avança dans le chemin de terre tracé sans vraiment avoir une destination précise. Tout ce qu'elle désirait, c'était se vider l'esprit, et rien d'autre. Alors elle avança parmi les sorcières, ignorant la petite fillette qui pleurait comme vache qui pisse parce que sa glace avait glissé de son cône. Elle ne se soucia pas non plus d'une sorcière qui regardait d'un oeil vide le paysage, comme si elle perdait l'esprit. Elle progressait dans la ville, passant à côté d'un chat ailé, d'une fée bourrée, et même d'herbes folles qui se faisaient pourchasser par une sorcière qui en avait terriblement besoin pour une de ses nombreuses potions. Tout cela, c'était son quotidien, elle en voyait tous les jours, des vertes et des pas mûres, et elle s'en fichait un peu. Et puis, tout au fond d'elle, tout ce remue ménage lui permettait de s'évader plus rapidement, plus facilement, en se disant qu'il y avait des gens qui vivaient bien pire qu'elle. Et puis là, étrangement, ses pensées se tendirent vers les humains. Eux qui n'avaient aucune vision de ce genre, cela devait les ennuyer de vivre dans un monde monotone !

Ses pas la guidèrent vers les limites de la ville. Plus loin, en face d'elle, à une bonne cinquantaine de mètres à en juger du regard, une forêt sombre et mystérieuse se présentait devant elle. Maggie la regarda, un peu tentée. Il serait simple de dépasser les limites de la cité et de se diriger vers cette étendue de feuilles et de branches pour ne plus jamais se concentrer sur les problèmes de la ville, et plus encore, les problèmes d'apprentie sorcière. Mais Maggie n'était pas de ce genre. Ignorer les problèmes, c'était une chose, les fuir, s'en était une autre ! Aujourd'hui, elle n'avait pas le moral, elle voulait se reposer, demain sera un autre jour, et elle affrontera son examen. Mais se jeter dans la gueule du loup en se fourrant dans cette forêt et courir le risque de ne jamais en revenir tout ça pour la lâcheté face à un simple examen… Ah ça non !

« Ahahahahaha ! Alors, Maggie, ça fait quoi de perdre ? Je n'ai pas beaucoup d'expériences en cette matière… Peux-tu me décrire ce qu'est… le goût de l'échec ? »

Malicia la regardait de haut, sa robe d'apprentie marron sur elle. Elle arborait un sourire narquois et ses yeux brillaient de mépris. Ce qui pouvait largement qualifier cette petite peste était le mot « arrogance ». Contrairement à Heart avec qui Maggie s'était très bien entendue, Malicia fut depuis le premier jour à l'école des apprenties sorcières sa pire ennemie. Elle n'avait pas hésité dès le premier jour à prendre de haut Maggie, comme toutes les autres filles d'ailleurs… Sauf que les choses ne s'étaient pas bien déroulées entre elles. Les fillettes ignoraient le mauvais comportement de Malicia, mais Maggie elle l'avait défiée dans son petit jeu de miss-je-suis-la-meilleure. Ça avait tourné en une immense dispute, et finalement les deux fillettes avaient fini par se battre. Ce furent les sorcières qui durent les séparer et les punir. Depuis, rien n’allait entre Malicia et Maggie.

Et les choses ne se corrigeront jamais. Jamais !

« Qu'est-ce qu’il se passe, Maggie ? Pourquoi tu regardes la forêt interdite de cette façon ? Tu veux l'explorer ? Tu crois que tu vas t'en sortir ? Tu n'as même pas réussi le dernier examen ! Tu n'as pas ta fée ! Qui t'aidera, toi qui es toute seule ?! »
« Et blablabla, et blablabla ! Tu poses beaucoup de questions, Mali ! Tu as un problème, tu n'as pas d'amies ? Ou alors tu veux des croquettes ? » Répliqua Maggie à sa rivale.

Les deux filles se foudroyaient maintenant du regard. C'était finalement beaucoup plus que de la simple rivalité, ou qu'une simple dispute. Tout cela était une affaire personnelle : oui, les deux filles seraient peut-être bien capable de s’entre-tuer si un jour elles en avaient l'occasion ! Mais pour le moment, elles restaient ainsi plantées devant cette forêt qui inspirait tant de terreur aux sorcières comme aux magiciens, et même aux créatures magiques. Soudain, une idée traversa l'esprit de Maggie. Une idée dangereuse, il fallait le dire, qui pourrait leur faire perdre beaucoup de choses, aux deux filles, mais au moins, elles auraient enfin ce qu'elles voudront. Elles pourront enfin se mesurer jusqu'au bout, donner tout ce qu'elles avaient. Et puis, il fallait avouer que son idée était astucieuse, puisque personne ne chercherait à les déranger.

« Je te propose quelque chose, Malicia. Allons ensemble dans la forêt, toi, moi, ta fée si tu le souhaites. Affrontons-nous comme de vraies sorcières, avec nos pouvoirs magiques. Nous verrons enfin qui de nous est la meilleure, même si je sais que c'est moi… »
« Tu es bien prétentieuse, je te rappelle que de nous deux, c'est moi qui ai une fée ! » Joignant le geste à la parole, Malicia fit sortir sa petite fée aux cheveux bleus de sa boule. « Mais je dois avouer que c'est une bonne idée... »

Les deux filles se dirigèrent vers la forêt, sans un regard en arrière, sans contempler une dernière fois la ville des sorcières. Elles se fusillaient des yeux tout en avançant, sans se quitter. Malicia avait un sourire méprisant, alors que Maggie la regardait avec colère. Elle allait enfin lui clouer le bec, enfin elle allait lui montrer qu'elle était la meilleure. Elles enjambèrent des racines hautes et larges, et elles devaient parfois même monter dessus pour pouvoir passer. Elles prenaient aussi soin d'éviter les branches basses pour ne pas se faire mal, et de surcroit être ridiculisé. La petite fée usa du peu de ses pouvoirs pour offrir un peu de lumière aux deux apprenties, éclairant son corps pour se donner un rôle de lampe torche. Elles finirent par trouver une place isolée où elles pourraient livrer leur bataille. Une bataille qui sera sans merci.

Hahaha ! Je m'étais bien amusée, ce jour là ! Cette pauvre Malicia...
A part elle et d'autres sorcières de notre âge, personnes ne sut ce qui s'était passé dans cette forêt !
Je me rends aussi compte que j'étais aussi bête que Dorémi... Quelle honte !

Malicia rigola puis lança son premier sort sans crier gare :

« Kalacita Kalaza Hira ! Branches basses, dans ta face ! »

Les branches basses se mirent soudainement à s'allonger, à se tendre vers Maggie. Hélas, elles étaient peut-être un peu trop lentes. L'apprentie verte en profita pour riposter :

« Noréto Nochi Maluro Malu ! Que l'herbe me vienne en aide ! »

Sa formule étant assez bancale, les plantes la protégèrent de l'attaque de Malicia, tout en se retournant contre elle. Les branches basses de son adversaire avaient aussi cet air malsain. Cette forêt était trop dangereuse... Soudain, Maggie entendit un cri strident. Un cri qui lui fit procura une douleur insupportable au tympan. Elle porta ses main à ses oreilles, les couvrit, pleurant de douleur. Les plantes qui l'entouraient se pressaient contre elle, l'étouffaient. Elle devait faire quelque chose, et vite.

« Noréto Nochi Maluro Malu ! Que la lumière me libère ! » Cria-t-elle en levant le bras qui portait sa baguette vers le ciel.

De sa baguette émergea soudainement une lumière éblouissante qui aveugla la forêt. Maggie sentit une sensation étrange, un air de bien être. Et puis, elle avait l'impression étrange que la chose malsaine s'était terrée quelque part, comme si elle avait peur de la lumière. La jeune fille ne réfléchit pas plus longtemps à l'évènement et courut comme une flèche en brandissant sa baguette devant elle, la secouant autour d'elle pour éviter que les arbres ou la forêt entière ne récupère et ne se redresse contre elle. Elle en perdait haleine, mais s'interdisait de s'arrêter, se forçait à allonger le pas, à ne pas se laisser aller, à fuir cet endroit maudit.

Quand elle aperçut la lumière du jour du royaume des sorcières et son aura violacée apaisant, elle tomba à genoux et put enfin reprendre son souffle. Elle cracha par terre et remarqua qu'un peu de sang s'était mêlée à sa salive. Elle avait du mordre sa langue en fuyant. Elle leva la tête et fixa le ciel violet orné d'étoile avec soulagement, et avec une joie infinie. Peu importait, qu'elle ait une fée ou non, ce qui était le plus important était le fait qu'elle était vivante. Elle se mit debout, vit que sa baguette avait perdu toutes ses perles qui lui donnaient ses pouvoirs magiques. Puis elle regarda autour d'elle, et s'aperçut qu'elle n'entendait pas une voix qui devrait tout le temps se faire entendre.

« Malicia ? Malicia ? » Appela Maggie.


Malicia n'était plus là.